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La Chronique de Jacques Doucelin - Un centenaire plein de promesses

L’espace de cette chronique est trop souvent à mon goût transformé en bureau des pleurs, pour qu’on ne manque pas l’occasion de saluer comme il convient les événements positifs, car, Dieu merci, il y en a ! Devant un public nombreux, le Châtelet fêtait le 22 mai au soir le centenaire jour pour jour de la création dans ses murs du Martyre de saint Sébastien, musique de scène de Claude Debussy pour un mystère médiéval de quelque 4000 vers en français de l’Italien Gabriele d’Annunzio : cinq heures de spectacle au total en 1911… dont il n’est resté un siècle plus tard qu’une heure et demie, après que la comédienne Sylvie Chenus eut réalisé une convaincante adaptation d'un texte qui est passé comme une lettre à la poste.

Nous reviendrons sur les mérites de cette interprétation, car la soirée n’a pas seulement glorifié une oeuvre du XXe siècle, elle a aussi entériné la naissance d’une toute nouvelle institution pour la formation aux disciplines du spectacle vivant, à savoir le Pôle supérieur d’enseignement artistique à l’initiative conjointe des villes de Paris et de Boulogne-Billancourt ainsi que de la communauté d’agglomération Grand Paris Seine Ouest et du Ministère de la Culture. Au-delà de la dénomination, l’important, c’est que des institutions déjà existantes acceptent enfin de collaborer au lieu de s’ignorer à l’abri de tutelles aussi jalouses que frileuses.

Collaborent donc désormais, en fait depuis plus d’un an, les deux conservatoires à rayonnement régional de Paris et de Boulogne-Billancourt, l’Ecole supérieure d’art dramatique de la Ville de Paris (Esad), et ce en partenariat avec les universités Paris Sorbonne et Sorbonne Nouvelle. Il faut d’abord se féliciter que se parlent enfin, d’une part, les musiciens professionnels et les musicologues qui se regardaient en chiens de faïence, et d’autre part, les apprentis musiciens et les jeunes comédiens qui s’ignoraient joyeusement ! Pour ces derniers, il s’agit plutôt de retrouvailles depuis qu’ont été géographiquement séparés de façon totalement stupide il y a un demi-siècle par des fonctionnaires irresponsables et des politiques incultes les Conservatoires nationaux de musique et d’art dramatique de Paris.

Or, depuis Lully, la tradition française exige que les chanteurs étudient la comédie et que les acteurs sachent chanter. C’est un Américain amoureux de la culture française classique, un certain…William Christie, qui a dû s’employer depuis trente ans à combler le fossé et à renouer patiemment les fils subtils qui unissaient depuis toujours, de Charpentier à Debussy, voire à Dutilleux, l’art du chant français à la déclamation théâtrale. C’est aussi la raison pour laquelle (mais le sait-on encore… ?) il y a toujours un orchestre et un chef à la Comédie française ! Ce fut le cas de Marcel Landowski au début de sa carrière tout comme Pierre Boulez fut en ses jeunes années directeur musical de la Compagnie Renaud Barrault où il connut Milhaud et Claudel. Même les révolutionnaires respectent la tradition !

Les barrières imbéciles tombent : réjouissons-nous ! Sans doute, la réussite de ce Martyre de saint Sébastien au Châtelet eût-elle été moindre sans la présence d’un homme de l’art qui allie compétence, générosité, modestie et sens de la pédagogie, le compositeur Alain Louvier : cet ancien patron du Conservatoire National de musique de Paris, dont il assura le déménagement de la rue de Madrid à la Cité de La Villette, sa tâche accomplie, n’hésita pas à reprendre les rênes du Conservatoire de région de Boulogne. Il est avec Marcel Bozonnet, président de ce Pôle supérieur d’enseignement artistique, la cheville ouvrière d’une entreprise dont la soirée du Châtelet a eu le mérite de démontrer et l’utilité et l’efficacité. En effet, la demi-douzaine de jeunes comédiens associés au spectacle comme les instrumentistes et les chanteurs issus des deux conservatoires concernés ont rendu parfaitement justice à l’œuvre : que leurs maîtres respectifs en soient félicités !

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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