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La Chronique de Jacques Doucelin - En avant les Bleus !

Il y a trop de raisons de se désoler du spectacle du monde comme il va, pour ne pas regarder en manière de consolation vers ce qui ne va pas trop mal…Même en musique, nous avons plein de raisons de nous réjouir. Tenez, un jeune homme de 91 ans s’est envolé, le mois dernier, pour l’Empire du soleil levant où le grand chef japonais Seiji Ozawa et Renée Fleming créaient sa dernière œuvre Le temps, l’horloge au Festival de Saito Kinen. Paris devra attendre 2009 pour découvrir cette nouvelle pièce d’Henri Dutilleux puisque c’est de lui qu’il s’agit.

Peu avant, j’avais croisé dans la rue le chef de file de nos compositeurs quinquagénaires Pascal Dusapin excité comme une puce, mais pas aveuglé pour autant par les succès qu’il rencontre lui aussi à l’étranger. Son dernier opéra Faustus, The last night venait de faire l’ouverture de la saison de l’Opéra d’Etat de Berlin dirigé avec le bonheur que l’on sait par Daniel Barenboïm. Et dès le lendemain, Pascal Dusapin reprenait les airs pour assister à la première de la nouvelle production de Medea signée par la chorégraphe Sacha Waltz, son opéra qui a attiré sur lui l’attention du plus grand nombre de metteurs en scène.

Oui, la musique française se vend bien à l’étranger et nos compositeurs y sont considérés avec respect et admiration. Nos interprètes ne sont pas en reste. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ici le paradoxe de nos chefs d’orchestre qui réussissent fort bien à s’imposer hors des frontières pour compenser la traditionnelle bouderie nationale. Il suffit de rappeler les brillantissimes carrières de Charles Munch et de Pierre Monteux outre-Atlantique comme de leurs cadets Georges Prêtre ou Pierre Boulez. Les benjamins font de même, de Yann-Pascal Tortelier et Stéphane Denève outre-Manche, au Niçois Philippe Auguin grand patron de la musique à Nuremberg ville des Maîtres chanteurs ! Last but not least, Lionel Bringuier (voir la vidéo), dernière découverte du Syndicat de la critique, qui se partage désormais entre l’Orchestre de Bretagne (voir la vidéo) et celui de Los Angeles où Esa-Pekka Salonen l’a appelé pour l’assister.

Et les chanteurs aussi ont la bougeotte ! Il y a des lustres qu’on en avait vus autant sur les affiches du Metroplitan Opera de New York. Côté dames, Annick Massis et Natalie Dessay se partagent ce mois-ci la même série de Lucia di Lammermoor de Donizetti. Côté messieurs, un habitué du Met, notre ténor national Roberto Alagna y reprend le pourpoint de Roméo en remplacement de Rolando Villazon face au Mercutio du baryton lyonnais Stéphane Degout. On se souvient qu’une génération avait été perdue pour l’exportation entre les octogénaires Régine Crespin et Gabriel Bacquier aux destinées internationales et les actuels quadras qui à la force du poignet et du gosier ont retrouvé le chemin des premières scènes lyriques du monde.

Je ne parle évidemment pas de Pierre Boulez chef et compositeur que l’univers entier se dispute avec ses musiciens de l’Ensemble Intercontemporain. De Dutilleux acclamé à Matsumoto ou à Boston à Boulez triomphant de Bayreuth à Vienne, est-on bien conscient dans la France aux prises avec la mondialisation des marchandises que nous tenons là les têtes d’affiche de l’entreprise France ? Dès qu’un Bleu a marqué un but le voilà invité à l’Elysées. A-t-on suffisamment pris conscience dans les allées des pouvoirs successifs de ce qu’a symbolisé dans la réconciliation franco-allemande, donc dans la construction de l’Europe, la Tétralogie de Wagner confiée à Boulez et à Chéreau pour son centenaire célébré à Bayreuth en 1976 ? Il est permis de se demander parfois si la France mérite ses musiciens. En tout cas, qu’il paraît loin le temps de l’immédiat après-guerre où le Président de l’Assemblée nationale Edouard Herriot, par ailleurs maire de Lyon, ne pensait pas s’abaisser en prononçant un discours sur Beethoven et en commettant un livre sur ses quatuors à cordes. En ce temps-là, le monde politique français n’avait pas honte de la culture.

En avant la musique !

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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