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​Festival de Musique de Menton 2022 – Saveurs variées

 
Le 73e Festival de Musique de Menton démarre officiellement le 29 juillet avec Natalie Dessay, invitée d’honneur d’une soirée aux couleurs de la comédie musicale. Mais dès la veille, la cité se mettra en musique avec « Violeta meets Jazz », hommage d’Emiliano Gonzalez Toro (photo) à la chanteuse populaire chilienne Violeta Parra. En entrée libre sur l’agora de l’esplanade des Sablettes, ce concert a valeur de symbole pour Paul-Emmanuel Thomas, directeur du festival, avec la participation d’un ténor associé au baroque mais « qui se promène sans tabou d’un répertoire à l’autre ».
 

Paul-Emmanuel Thomas © DR

Raconter une histoire
 
Depuis qu’il a pris les rênes de la manifestation il y a une décennie, celui qui assure par ailleurs la direction du Conservatoire de Menton parallèlement à ses activités de chef d’orchestre a su rajeunir l’image d’un des plus anciens festivals de France. Après deux années très contraintes par la crise sanitaire (point d’année blanche toutefois, Menton ayant pu, grâce au plein air, préserver une demi-douzaine de concerts en 2020), il se réjouit que la manifestation retrouve enfin son format habituel et puisse à nouveau se déployer dans l’ensemble des lieux où elle avait coutume de s’installer.
« Un festival est une fête dans un espace-temps réduit, un peu comme un feu d’artifice » souligne le directeur, qui fait aussi la comparaison avec la gastronomie et l’accord des mets et des saveurs. Du meilleur plat servi continuellement on se lasse ... Fuir le prévisible et la redite : à chaque édition, il s’agit de « combiner les ingrédients pour raconter une histoire. Le pire pour un artiste ou un programmateur c’est l’indifférence, d’où la nécessité d’avoir des programmes qui nous interrogent, nous touchent, nous remuent, nous surprennent ».
 

Fazil Say
Fazil Say et Menton, une très longue histoire ... © Marco Borggreve

À charge aussi pour Paul-Emmanuel Thomas de trouver le subtil équilibre entre des artistes que le public connaît et aime, tels que Fazil Say (découvert et lancé il y a bien des années par André Böröcz, fondateur du Festival de Menton), de retour cette année avec à ses côtés Patricia Kopatchinskaya, ou encore Christophe Rousset — l’enfant du pays — et ses Talens lyriques, qui ne pouvaient faire défaut à Menton en l’année des 30 ans de l’ensemble, d’autres certes connus mais pour la première fois invités comme Pierre-Laurent Laurent Aimard — dans un original programme embrassant l’histoire de la musique, de Sweelinck à Liszt –, et d’autres à découvrir. Côté piano, on note que Noboyuki Tsujii fera également ses débuts à Menton au cours de cette 73édition.
 
Introduire de la nouveauté dans la programmation consiste aussi à provoquer des rencontres, entre le Quatuor Ebène et Nicolas Alstaedt, violoncelliste trop méconnu chez nous, par exemple, entre Geneviève Laurenceau et David Kadouch, entre Thomas Enhco (pour la première fois à Menton) et Vassilena Serafimova, ou entre Alexandre Kantorow, déjà applaudi à Menton, et Daniel Lozakovich, dont l’archet chantera pour la première fois sur le célèbre Parvis Saint-Michel. Autre première venue très attendue, nul besoin de le préciser, celle de Matthias Goerne avec la Camerata du Concertgebouw pour la soirée de clôture du 13 août.
 

Celia Oneto Bensaid © Capucine de Chocqueuse

Les formats de concert ne doivent pas être figés
 
« Ce n’est pas parce que nous sommes un festival de haute tradition que nous ne devrions inviter que des gens connus ayant pignon sur rue », insiste Paul-Emmanuel Thomas, qui entend accompagner des jeunes, des artistes moins connus, faire des paris sur l’avenir et oser innover. « Je crois, poursuit le directeur, que les formats du concert classique, tels qu’on les pratique depuis un peu plus de 150 ans maintenant sont à la croisée des chemins. Le récital est l’invention de Liszt et, avant ce personnage fascinant, les programmes n’étaient pas du tout les mêmes et se révélaient beaucoup plus variés. Je ne dis pas qu’il faut revenir à la formule consistant à entrelarder une symphonie de diverses pièces, mais j’ai la conviction que les formats de concert ne doivent pas être figés. »
 
Et d’en tirer les conclusions avec les concerts promenades au Parc du Pian, superbe oliveraie qui surmonte le nouveau port de Menton. « Ces récitals sont donnés avec un piano équipé du système silent qui permet au public d’avoir un casque connecté en wifi dans un périmètre de 200 mètres, détaille Paul-Emmanuel Thomas. Ce n’est pas le gadget technologique qui nous intéresse, mais ce qu’il permet comme autre manière d’écouter un concert puisque le public peut du coup être mobile, changer son point de vue sur l’interprète sans que sa perception sonore soit en quoi que ce soit altérée. De telles expériences me semblent importantes : la société, les modalités d’écoute évoluent ; le concert doit en tenir compte. »
Les concerts promenades permettront d’entendre Celia Oneto Bensaid, un spectacle musical inspiré de Giono (avec le comédien Laurent Chouteau), Beatrice Berrut ou le jazzman Paul Lay. L’exploit technique étant encore plus grand avec ce dernier puisque son récital sera dupliqué via le système Disklavier de Yamaha, et offert, accompagné d’une retransmission vidéo, aux habitants de Breil-sur-Roya, l’un des villages sinistrés de la vallée de la Roya, ravagée en 2020 par la tempête Alex.
 

Slava Guerchovitch, l'un des participants à la masterclass de Rena Shereshevskaya © DR

Rena Shereshevskaya et ses élèves
 
Faire des paris sur l’avenir ? La jeunesse est présente à Menton avec Kim Bernard, talent en plein envol, mais aussi grâce à une masterclass de piano de Rena Shereshevskaya. Menton renoue ici avec ce que l’on avait connu à la fin des années 2010 en violon lors de mémorables cours de Zakhar Bron. Paul-Emmanuel Thomas ne cache par sa fierté d’accueillir l’éminente Rena Shereshevskaya ; « une pédagogue qui forme les musiciens de manière globale ; qui fait grandir l’être humain pour permettre le musicien. Il est très important de montrer au public ce qui est nécessaire à la construction de la beauté, de le faire entrer dans l’intimité de la construction d’un musicien. » Deux jeunes solistes, Slava Guerchovitch et Dmitri Sin, et un duo formé de Marco Ottaviani et Luisa Jefferson participeront à la journée de masterclasses (7/08) et se produiront le lendemain en récital.
Rena Shereshevskaya n’est d’ailleurs pas venue seule à Menton : avec sa fille Vera, mezzo, elle a prévu un récital (auquel le violoniste David Lefèvre prendra part) qui, de Duparc à Prokofiev, de Rachmaninoff à Ippolitov-Ivanov, promet de faire le bonheur des amoureux de mélodie.
 

Le Romain Leleu Sextet © Thomas Baltès

Alléchants pas de côté
 
Le festival sait aussi « faire des pas de côté », pour reprendre la formule de Paul-Emmanuel Thomas qui s’attache à toucher un public différent dans le cadre du « festival Off » (en entrée libre), avec des propositions très qualitatives toutefois. On en veut pour preuve la présence du Romain Leleu Sextet, de l’Ensemble Janoska, des guitaristes Nicolas Flavie et Eliot Wolley, de Benjamin Prischi, pianiste et compositeur venu du jazz et très marqué ensuite par la musique de la Renaissance et du premier baroque, et aussi de Bertrand Chauvineau, pianiste amateur de haut niveau et ... chercheur en astronomie au CNRS, qui fera découvrir ses pièces au public. Enfin, Spark Classical Band sera de la fête. Un ensemble dont les deux flûtistes à bec (le groupe comprend en outre violon, piano et violoncelle) « jouent à peu près toutes les flûtes existant au monde et possèdent un parc musical hallucinant, précise Paul-Emmanuel Thomas. Pop, jazz, musique ancienne, musique contemporaine ; ils mixent les pièces avec beaucoup d’intelligence et montrent qu’il y a des types d’énergie qu’on retrouve dans des musiques de styles très différents. Et ça marche ! » La promesse d’un rendez-vous aussi atypique que tonique, à l’image d’un festival résolument décidé à se promener sans tabou d’un répertoire à l’autre.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Paul-Emmanuel Thomas, réalisé le 25 juillet 2022)

73e Festival de Menton
Du 28 juillet au 13 août 2022
www.festival-musique-menton.fr/
 
Photo © Michel Novak

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