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Doublé déconcertant - Trouble in Tahiti et L’Enfant et les sortilèges à Nancy

Attelage étrange : Trouble in Tahiti et L’enfant et les sortilèges n’ont rien à voir, mais ils se regarderont pourtant des deux côtés de l’entracte à l’Opéra de Nancy. Pour Trouble in Tahiti, inspiré de loin par son mariage avec Felicia Montealegre, Bernstein a dépeint avec amertume la journée d’un couple qui ne se parle plus : sept scènes aigre-douces sur l’incommunicabilité écrites dans le style de Broadway qui l’accueillera en 1955, quarante minutes de musique faussement populaire que le compositeur réemploiera habilement en 1983, en faisant le deuxième acte de A Quiet Place où il agit tel un fulgurant flash-back.

Le quotidien de L’Enfant et les sortilèges est tout autre : une plongée dans le fantastique avec maison qui bouge et jardin qui se venge. Le méchant enfant n’est qu’un prétexte à une formidable suite de fantasmes où la culpabilité le dispute à la tentation. Que Ravel ait écrit sur les mots de Colette son portrait intime, pourquoi pas.

Il réalise surtout une œuvre tout à fait à part qui n’a pas connu de descendance, un conte initiatique sur un enfant mais écrit pour des adultes (et le comble est bien que, attiré par son merveilleux de surface, on destine l’œuvre aux têtes blondes). Ce cauchemar où passent les zébrures du jazz n’a jamais été un rêve, sa fin relativement heureuse (mais castratrice) souligne une expérience déconfite, un ratage. Ravel voulait y voir sa comédie américaine, mais ce que l’on y entend surtout, en discret filigrane, c’est l’impact de la grande guerre (Ravel commença la partition en 1916, et y mit le point final en 1924).

Cette éducation sentimentale ratée est évidemment un chef-d’œuvre qui pose bien des défis aux metteurs en scène. De L’Enfant on a vu pour l’instant qu’une régie convaincante, celle de Lavelli pour Garnier. Que tentera Benoît Bénichou, dans quel jardin nous entraînera-t-il et pour Trouble in Tahiti quel rêve américain déchu nous montrera-t-il ? Aurore Ugolin et Jean Teitgen feront le couple impossible et, pour L’Enfant, les petits personnages sont splendidement distribués : on voit déjà François Piolino en théière, et l’on entend la course folle de l’horloge après son balancier selon Marc Mauillon Mélanie Boisvert fera le Feu et sera la Princesse (et le Rossignol aussi), et l’on espère qu’Amaya Dominguez troussera un enfant crédible (l’idéal serait vraiment un enfant, mais l’aura-t-on un jour ?). Les forces nancéennes seront conduites par Johnatan Schiffman.

Jean-Charles Hoffelé

Bernstein : Trouble in Tahiti/ Ravel : L’Enfant et les sortilèges – Nancy, Opéra national de Lorraine, les 19, 21, 23, 25 et 26 mars 2010. Infos : www.opera-national-lorraine.fr

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Photo : Bruno Fatalot
 

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