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Compte-rendu : A nos amours - Les belles heures du Ballet du Capitole

Un fil rouge relie le spectacle, celui de la chaîne des passions et des conflits qui soudent les humains. Et c’est un tendre qui le tend : Kader Belarbi, ex-étoile de l’Opéra de Paris où il a laissé une image à la fois puissante et discrète, réapparaît sous les projecteurs. Chorégraphe de plus en plus, danseur encore, chercheur d’humain toujours, il a retiré le meilleur de l’invitation qui lui était faite par l’Opéra de Toulouse pour élargir un répertoire déjà considérable.

Il faut dire que sous la direction de Nanette Glushak, ancienne des grandes troupes américaines et prêtresse balanchinienne, la compagnie s’est, en quatorze ans, hissée au niveau le meilleur, c'est-à-dire le second en France après l’Opéra de Paris, dans le domaine classique et néoclassique. Certes la saison qui se déroule à ce jour dans la Halle aux Grains souffre d’un contexte moins flatteur que le très aimé Capitole, en travaux jusqu’à l’été, mais elle bénéficie de l’intérêt renouvelé que le nouveau directeur, Frédéric Chambert, porte à la danse, bien plus que son prédécesseur Nicolas Joël dévoré par sa passion pour le lyrique.

Confier le spectacle à Belarbi était donc ouvrir la porte à l’excellence de l’interprétation, à la richesse de l’expérience et à une intelligence créatrice qui joue de l’expression libre de la danse contemporaine sans renier ses racines. Deux pièces de lui ouvraient le spectacle : Liens de table, créés en 2001 par le Ballet du Rhin, où, dans la tonalité d’un Matts Ek mais avec moins d’outrance, quatre personnages d’une même famille vivent la complexité des contentieux qui agitent cette cellule mère. Danse acrobatique, tendue, forte, qui permet aux interprètes, dominés par la classe de Paola Pagano, de créer un climat oppressant. Celui-ci va se durcir ou s’éclairer dans A nos Amours, une création pour Toulouse, où trois maisons, trois vitrines plutôt enserrent trois couples, qui représentent les âges de la vie amoureuse : légèreté, conflits, drames, lassitude et sursauts d’espoir, grâce à la force de l’amour. Un récit tout en vigueur gymnique, violence ou tendresse, soutenu par des musiques aussi contradictoires que Chostakovitch ou Reynaldo Hahn, que relie la voix permanente du violoncelle. Parmi les six solistes, magnifiquement engagés, on retient particulièrement le couple « mûr », formé par Lucille Robert et le kazakh Kazbek Akhmedyarov.

Avec La Pavane du maure, c’est une grande page de l’histoire de la danse que rouvre le Ballet du Capitole: José Limon, formidable chorégraphe mexicain des années 50, ne reste malheureusement dans les mémoires que pour cette seule pièce, créée en 1949 aux U.S.A, alors que son œuvre fut considérable. La force elliptique de ce raccourci de l’Othello de Shakespeare, sur fond de Purcell, continue de troubler par l’intensité de ses parcours ramassés, et le superbe dessin des attitudes, emblématiques sans jamais devenir caricaturales. Robe grenat de sombre seigneur maure, Belarbi, barbu, affiné, le geste immense ou tordu, est l’Othello rêvé. Sous ses mains impitoyables, le cou gracile d’une éternelle jeune première, que l’on redécouvre avec un plaisir indicible, la frémissante Monique Loudières, retraitée de l’Opéra de Paris depuis 14 ans, et libre aujourd’hui de brûler à nouveau les planches après plusieurs années d’étouffant labeur à la tête de l’Ecole de Danse de Rosella Hightower à Cannes : inchangée, telle que nous l’avions fêtée dans Sylvia ou In The Night. Miracle des liens qui l’unissent à la danse et à son ami Kader.

Dire que Beethoven 7, imaginé par Uwe Scholz sur la Symphonie de Beeethoven en la majeur, opus 92, fut un pari audacieux, est faible. Mais Scholz, génie disparu prématurément en 2004 après une carrière fulgurante à Zurich et Leipzig, dont il dirigea le ballet, l’a tenu victorieusement. Tout le parcours des danseurs n’est qu’une projection d’attitudes tranchées, jaillissantes comme des forces de la nature : une communion avec le monde, affûtée par le chausson, devenu ici flèche, en une sorte de parade qui oblige les danseurs à se dépasser jusqu’à l’extrême jubilation. Une pulsion de vie et de beauté si violente habite cette œuvre qu’on ne peut qu’être navré de la voir si peu sur les scènes nationales, tout comme l’ensemble de l’œuvre du chorégraphe. Le public a montré qu’il y adhérait pleinement et a acclamé sans fin les artistes, notamment la fine et musicale Maria Gutierrez.

Jacqueline Thuilleux

A nos amours, Ballet du Capitole, Halle aux grains de Toulouse, le 16 février 2010

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Photo : David Hererro
 

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