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Compte-rendu : Le voyage de Mahler sur l’Ill - Marc Albrecht dirige la 3ème Symphonie

Pas beaucoup d’orchestres français sont capables d’offrir un pareil tableau de chasse que ce somptueux huit cors avec lequel l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg a ouvert la Symphonie n°3 de Mahler : comme un appel cinglant qui fait émerger le monde de la torpeur du chaos. L’orchestre rhénan a donné ici d’emblée une idée de son engagement et de son souffle. De grandes baguettes ont dirigé la phalange depuis sa fondation en 1855, les Mottl, Ansermet, Münch, Fürtwangler. Aujourd’hui c’est Marc Albrecht (photo), en place depuis 2006, qui la vivifie de sa jeunesse et de sa passion, mises au service des compositeurs contemporains mais aussi de Mahler, dans lequel il semble être tombé dès l’enfance.

Un public tenu en haleine tout au long de l’immense voyage qu’offre la IIIe, œuvre nietzschéenne dont Mahler affirmait qu’en elle, il devenait « un instrument dont joue l’univers », a salué la gradation de cette pièce titanesque jusqu’à son ultime montée vers une souffrance acceptée, que seule l’amour rend possible. Une tension rendue palpable par l’engagement de l’orchestre, tenu par la battue analytique et fine d’Albrecht autant que par son sens des étirements infinis, et riche d’une formidable santé qui augure du meilleur pour l’avenir, et tout au moins pour la saison : cors vigoureux, tranchés sans crainte, on l’a dit, trompettes éclatantes qui relancent l’action comme des coups de ciseau donnés dans la masse, mais aussi bois subtils et expressifs, percussions impeccables.

Seul peut-être le tutti des cordes semblent-ils légèrement en deçà de la vigueur du reste des pupitres. Il est vrai qu’il lui est ici difficile de lutter avec de telles forces, qui secouent l’auditeur en tout sens, le provoquant de leurs stridences déchaînées ou se mettant à l’écoute des émotions les plus intimes tapies au cœur de la nuit, et de l’immobilisme apparent de la nature. Seule l’intervention, dans le 4ème mouvement, de la superbe alto danoise Hanne Fischer, avec son appel sorti de la nuit, comme celui de Brangäne, marquait comme un temps de répit dans ce chaos subtilement ordonné.

Bouffées de ländler, marches militaires, extases contemplatives, Marc Albrecht joue de toute cette gamme éclatée en virtuose. Et l’on comprend la déception des mélomanes alsaciens qui vont bientôt être privés de l’élégant maestro allemand, en partance pour les Pays-Bas où il prendra en 2011 la direction musicale de l’Opéra et de l’Orchestre Philharmonique National.

Sur la quarantaine de concerts qui vont scander cette saison strasbourgeoise, outre de nombreux concerts décentralisés, on le retrouvera le 9 décembre pour un programme français avec Béatrice Uria Monzon, le 10 mars dans la rare Symphonie op 40 de Korngold et les 20 et 21 mai pour une soirée Brahms-Sibelius, avec Renaud Capuçon. Quelques sommets d’une saison riche et habile dans sa composition et le choix de ses interprètes.

Jacqueline Thuilleux

Strasbourg, PMC, 2 octobre 2009

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Photo : Marco Borggreve
 

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