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Compte-rendu : Fin de parcours - Don Giovanni selon Adrian Noble à Lyon

On a encore dans l’œil la trilogie mozartienne que Peter Sellars avait transposée aux Etats-Unis : fast food et luna park, les décors faisaient tout et mangeaient même le théâtre, le dépaysement n’était que décoratif. Pour l’Opéra de Lyon Adrian Noble a pensé lui aussi une trilogie américaine, jouant non pas des codes esthétiques, mais revisitant trois périodes distinctes de l’histoire des Etats-Unis.

Sans surprise, mais avec beaucoup d’art, le libertinage de Cosi fan tutte avait trouvé refuge sur les plages californiennes, l’aria aperta du sable, du ciel, le feu de bois et les étoiles, une vraie poésie, trouvée d’évidence, et pour le fond de l’œuvre le miroir parfait du Flower Power. Dans cette translation élégante, si bien sentie, Noble avait glissé sa langue nerveuse, son art précis et sans pitié, qui sait comme peu de metteurs en scène d’opéra aujourd’hui, exposer les âmes à nu. La concordance de la musique de Mozart avec les gestes calligraphiés des chanteurs, l’extrême tenue du propos, le vrai sens de la comédie, amère, tragique, légère pourtant, tout est resté intacte dans notre mémoire. Ce n’était pourtant pas le premier Cosi aux bains de mer – souvenez-vous de celui de Jean-Claude Auvray pour Garnier voici quelques lustres déjà – mais certainement le premier Cosi à quitter la vieille Europe pour la retrouver ailleurs, car la projection de ce Cosi dans le temps historique créait en fait bien des concordances avec la vision que l’on a aujourd’hui de l’œuvre : de toute la trilogie la plus naturellement moderne, parlant de plein pied notre langage. Cosi et nous, nous dans Cosi.

Suivirent les Nozze di Figaro, opéra politique, transporté discrètement dans les environs de la Maison Blanche sous l’ère Clinton. Des Noces à Washington, où l’imbroglio des sentiments rendaient aveugles les protagonistes, cécité démontrée par l’ingénieux dispositif voulu par Noble : des pièces sans murs et sans portes, où tout se montre à tout le monde mais où personne ne voit rien, ne comprends rien, impressionnant théâtre du voyeur aveugle. Derrière cette débâcle du privé, l’agitation mortifère du politique ; un autre vide de sens. Très noires Nozze, sans aucun soulignement, en parfait accord paradoxalement avec l’alacrité de la musique de Mozart. Mais Noble n’avait pas renoncé pour autant à la poésie du Parc, inoubliable de grâce et de sensualité.

La boucle s’est refermée cette saison avec une parfaite translation de Don Giovanni dans le Manhattan des années trente, sans aucune gratuité. La virtuosité nerveuse du théâtre de Noble, dont la fièvre des plateaux rappelle le style souvent boulé, haletant, interjeté, d’un Patrice Chéreau, y atteint une quintessence qui colle à chaque note de l’œuvre.

Serge Dorny, heureux d’un projet si abouti, réunira les trois spectacles lors de la saison 2010-2011 : sa pleine cohérence se révélera alors, sans compter l’enrichissement naturel, les jeux de miroirs, les révélations que ne manqueront pas de produire le voisinage des trois volets. Il faudrait que le DVD fixe ce travail exemplaire, libre et respectueux à la fois, où le théâtre n’oublie jamais l’opéra.

Jean-Charles Hoffelé

W.A. Mozart : Don Giovanni – Opéra de Lyon, vendredi 26 octobre 2009

Programme de l’Opéra de Lyon

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Photo : DR
 

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