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Compte-rendu - Am Anfang - Au commencement était la fin


Evidemment, un plasticien, en l’occurrence le peintre souabe Anselm Kiefer, se meut dans l’espace et n’est pas soumis à l’irréversible écoulement du temps. L’inverse en somme de la musique qui se nourrit de la fuite du temps. C’est ce qui permet à Kiefer de confondre allègrement – façon de parler, car sa vision est des plus pessimistes ! – le début et la fin de l’aventure humaine dans le spectacle que lui a commandé Gerard Mortier pour le 20e anniversaire de l’inauguration de l’Opéra Bastille. Son titre très biblique, Am Anfang (Au commencement… était le verbe : air connu) nous propulse, en fait, sur un tableau de fin du monde après un tremblement de terre ou une guerre atomique, l’immensité du plateau grand ouvert au fond, à cour et à jardin, accueillant une huitaine des célèbres tours du plasticien allemand, à la fois ruines et entassement de civilisations mortes, recouvertes d’une poussière grise.

Quelques grappes humaines grises elles aussi, des enfants ou peut-être des nains du Nibelung wagnérien, grattent et fouillent le sol en silence, édifiant des murets ridicules de la taille d’un château de sable. Un univers de mort et de silence où deux actrices (Geneviève Boivin et Geneviève Motard) se meuvent, indiscernables dans la pénombre épaisse, et dont les voix amplifiées citent l’Ancien Testament, celui de la désespérance et des prophéties apocalyptiques. S’il n’est pas question de discuter le choix des textes par Kiefer lui-même, pourquoi ne pas avoir continué sur l’introduction où Denis Podalydès dit un texte enregistré devant une carte en couleur du croissant fertile montrant les principales civilisations du Livre ? Cela aurait donné encore plus d’unité à ce grand oratorio de la mort annoncée.

On songe parfois à ceux d’Honegger ou de Milhaud, pas par le style qui reste toujours original, mais par le ton. C’est la musique signée du jeune compositeur allemand Jörg Widmann qui crée la dramaturgie de l’ouvrage. Car elle n’est jamais illustrative, mais suggestive. Ainsi commence-t-elle dans le souffle de la machine à vent au sein de l’orchestre : comme chez Messiaen, c’est aussi le souffle de l’Esprit. La partition dirigée par son auteur est moderne sans affectation, mais surtout sans les fadeurs des harmonies d’un John Adams. Toujours omniprésente, elle sait se faire oublier dans l’architecture d’un spectacle que Kiefer a souhaité total. On a plaisir à noter la forte motivation des musiciens de l’Opéra National de Paris engagés dans l’aventure d’une création qui déborde le cadre étroit de l’opéra traditionnel. N’était-ce pas l’un des principaux objectifs de l’Opéra nouveau à son inauguration ? Il était bon de nous le rappeler.

Jacques Doucelin

A.Kiefer/J.Widmann : An Anfang - Opéra Bastille, 9 juillet 2009, puis les 10, 11, 13 juillet, à 20 heures, et 14 juillet, à 16 heures (matinée gratuite).

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Photo : Charles Duprat/ Opéra national de Paris

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