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« Chaque Lied est un univers d'expression » - 3 questions à Edwin Crossley-Mercer, baryton


Le Lied est son paradis secret, mais c’est depuis quelques saisons au théâtre que son timbre soyeux, sa ligne tendue, son élocution subtile font de plus en plus merveille. Rectitude d’un art, magie d’un timbre – avec dans le grain de la voix rien moins que le souvenir de Gérard Souzay mais dans les mots l’éloquence d’un Hans Hotter – toutes qualités que Michel Le Naour avait pointées ici même après un stupéfiant Voyage d’Hiver à Orsay dont tout Paris a bruit. On retrouvera Edwin Crossley-Mercer le 10 octobre au Théâtre de l’Athénée dans la découvreuse série Les Pianissimes, partageant l’affiche avec l’excellent pianiste Olivier Moulin – dont le premier disque sort chez AmeSon – pour une soirée Liszt où apparaîtront les Trois Sonnets de Pétrarque et la ligne suspendue du « Oh, quand je dors ! » hugolien. A ne pas manquer !

Le Lied tient un part prépondérante dans votre art ? Pourquoi ?

Edwin CROSSLEY-MERCER : Le lied a toujours été un art particulièrement accessible pour moi. Tout d'abord dans ma famille maternelle, originaire d'Alsace, les mélodies populaires en allemand étaient souvent chantées par ma grand-mère. J'imagine que déjà tout petit, j'ai entendu "chanter en allemand" et me suis représenté cela comme possible. Donc mon histoire familiale a contribué à ce que je développe un intérêt pour la musique allemande. Il y a avait à la maison des disques de Dietrich Fischer-Dieskau dans la Belle meunière et le Voyage d'hiver. Teresa Stich-Randall qui chantait des Lieder de Mozart et également Schubert. Sans oublier Elisabeth Schwarzkopf et le merveilleux enregistrement de la Zauberflöte par Solti. D'ailleurs, cet opéra fut mon premier contact avec la musique, tout court ! Donc, oui, j'ai commencé à m'intéresser au chant en écoutant ces premières mélodies... en allemand. 

Bien sûr, cela ne suffit pas à déterminer la place prépondérante du lied dans mon répertoire mais c'est un début d’explication ! Si je devais voir les choses sous la lumière du choix - où je choisis délibérément le lied - j'expliquerai cela bien différemment. 
Avant d'avoir l'idée d'une technique vocale construite, je pouvais déjà choisir plusieurs mélodies et plusieurs Lieder qui étaient adaptés à mes qualités naturelles. À ce qui était là dans mes cordes et ma culture. Et certains Lieder étaient pour moi, faciles à interpréter. C'est pourquoi, j'ai décidé après mes études de musique baroque, de partir à Berlin. Je n'avais pas encore découvert les facettes de ma voix qui pouvaient me permettre de chanter à l'opéra et j'ai vite été dirigé vers les classes de Lieder. 

J'ai rencontré Dietrich Fischer-Dieskau, Wolfram Rieger et ai été baigné dans la culture du Lied par mes professeurs. Très jeune, le récital devint pour moi une liberté. Un accomplissement des plaisirs de la scène. A Royaumont, avec Ruben Lifschitz notamment. Et les programmateurs m'ont fait confiance. Aussi le Concours Nadia et Lili Boulanger que j'ai remporté en 2007 m'a donné confiance en le fait que je puisse être récitaliste. 
C'est pourquoi, aujourd'hui, avec l'expérience de mon éducation musicale et vocale, j'aurais peine à concevoir mon activité musicale sans le récital. Sans le plaisir de la liberté du texte, du choix du répertoire, de la collaboration immensément précieuse avec les pianistes; du laboratoire aussi, qu'est l'individualité renouvelée du soliste qui "récite" en chantant. Et le plaisir des questions lors de la construction d'un programme - quelle pièce vient quand ? Quelle tonalité suit laquelle ? Le pianiste peut-il jouer une pièce solo en rapport à l’œuvre qui suit ou précède ? Tout cela est une immense liberté ! De même pouvoir mêler les styles jusque dans les bis.

Chaque Lied est un univers d'expression. Cela permettrait presque dans l'espace d'un concert, de vivre une multitude d'émotions diverses. D'avoir plusieurs personnes en vous qui ont le droit de venir au jour - notamment dans un cycle (comme le Voyage d'hiver par exemple) où résignation, pitié, euphorie fanfaronne et dégoût ont leur "voix" propre. Cette pluralité, j'aimerais bien sûr l'intégrer dans l'art de l'opéra, dans le phrasé, dans la diction, mais un personnage théâtral nécessite une qualité plus lapidaire, un continuum où une figure peut perdurer dans toutes ses facettes. Cet argument ne va pas contre le fait qu'un lied, lui aussi, soit entièrement réglé par les lois de l'écriture du langage musical, traduction de la pensée du compositeur. Tout cela est très ambivalent bien sûr ; l'idéal serait de rejoindre l'intime délicatesse du récital avec les besoins de l'opéra. Cela passe à mon avis uniquement par une technique consciente. L'action théâtrale à l'opéra libère l'esprit, mais dans un récital, c'est bien la pensée musicale qui doit libérer votre théâtralité intérieure. En fait, cela se contredit et se rejoint entièrement.

Comment définiriez-vous votre voix ?

E.C.M. : Je découvre encore tous les jours des nouveaux aspects de la perception de ma voix de baryton ainsi que de son développement. Work eternally in progress. Du nouveau répertoire, des avis différents de vos conseillers choisis avec patience et curiosité. L'expérience du corps toujours différent et aussi simplement le temps de la maturation. Je suis capable de faire des choses bien différentes celles de la veille. Souvent en mieux, des fois non ! Mais cela ne me permet pas de définir ma voix comme un type particulier, bien que j'aspire à des idéaux esthétiques. J'ai encore beaucoup d’occasions et d’expériences à vivre.

Mais il existe un phénomène curieux en moi, que certainement beaucoup de chanteurs ont connu : le mode de l'expressivité vécue, dépend entièrement de la technique utilisée. C'est à dire que si la voix empreinte un ton plus clair et brillant, j'aurai envie de ressentir les choses avec un autre "cœur" que si la voix prend un chemin plus sombre, plus enveloppant. Il y a l'idéal physiologique de ce qui marche pour votre corps et votre esprit, mais il y a aussi les différentes couleurs à la voix. Cette flexibilité, j'aimerais ne jamais la perdre. À condition que votre partenaire pianiste vous suive de très près dans les méandres de la spontanéité ! 

Le Lied offre cette liberté car la composition est souvent illustrative et imitative entre piano, voix et contenu littéraire. Ensuite, c'est à moi et au pianiste de poser un contenu commun à la vision musique-texte. Une liberté en symbiose. C'est pourquoi il faut être certain de pouvoir se reposer entièrement sur le pianiste, que ses réactions soient solidaires aux vôtres ! 

Quels seront vos prochains personnages à l’opéra ?

E.C.M. : Prochainement à l'Opéra de Paris je serai Cascada dans La Veuve joyeuse, Graf Dominik dans Arabella et le Dancaïre dans Carmen. Je vais aussi chanter mon premier Sharpless dans Madama Butterfly. J'interprèterai Jean-Jacques Rousseau dans une création de Philippe Fénelon à l'opéra de Genève et bien sûr toujours la musique baroque dans Hercule Mourant d'Antoine d'Auvergne cet hiver, Thésée dans Hippolyte et Aricie de Rameau et aussi Leporello dans Don Giovanni.

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé le 26 septembre 2011

Récital d’Edwin Crossley-Mercer et Olivier Moulin

Œuvres de Franz Liszt

Lundi 10 octobre 2011 – 20h

Paris - Athénée-Théâtre Louis Jouvet

Rés. : http://www.athenee-theatre.com/saison/concerts

Notes : Pas encore de disque monographique pour Edwin Crossley-Mercer. Qu’attendent les éditeurs pour enregistrer son Winterreise ? Naïve, toujours friand de talents devrait, à notre sens, tenter l’aventure. On patientera donc avec les quelques apparitions que notre baryton, émule du Centre de Musique Baroque de Versailles, a fixées dans plusieurs disques consacrés au Grand Siècle, en commençant par le très surprenant Voyage au cœur des Opéras de Lully concocté par Olivier Schnebeeli et ses Pages et Chantres de la Chapelle, où brille également le formidable Marc Mauillon (1 CD K617, www. cd-baroque.com ; www.lecouvent.org).

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Photo : Vikram_Pathak

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