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« Ballets Russes » au Festival d’Aix-en-Provence 2023 – Le sacre de Mäkelä - Compte-rendu

 

 
Le Stadium, immense cube de béton noir posé sur une décharge de bauxite entre la gare TGV d’Aix-en-Provence et l’aéroport Marseille-Provence. Une salle polyvalente imaginée par l’architecte Rudy Ricciotti, inauguré en 1994 et enterrée quatre ans plus tard par la municipalité FN de Vitrolles. A l’abandon depuis l’an 2000, le Festival d’Aix-en-Provence redonne une vie éphémère au lieu en le transformant en un territoire d’expérimentations spectaculaires. Ainsi, l’an dernier, le terrible charnier de Castellucci pour la Symphonie « Résurrection » de Mahler et, cette année, la projection de trois films pendant l’exécution des ouvrages composés par Stravinski pour les Ballets Russes de Diaghilev : L’Oiseau de feu (1910), Petrouchka (1911) et Le Sacre du printemps (1913)
 

© Jean-Louis Fernandez

Autant l’écrire tout de suite, le déplacement sur le no man’s land entre le centre d’entraînement de l’école des sous-officiers sapeurs-pompiers et la centrale béton de Lafarge était avant tout largement motivé par la présence d’un Orchestre de Paris en format XXL, qui avait déjà sonné d’enfer l’an dernier ici-même sous la baguette d’Esa-Pekka Salonen. On en espérait le meilleur cette année, pour ces Stravinski dirigés par le juvénile Klaus Mäkelä (photo). Une attente récompensée au-delà de toute espérance !
 

© Jean-Louis Fernandez
 
Conscient de l’immensité de la salle, dont l’acoustique n’est pas à proprement parler celle d’un auditorium, le jeune directeur musical ne laisse pas une seconde la bride sur le cou d’un attelage musical des plus fougueux. Il maîtrise totalement les allures, s’évertuant à mettre en valeur le meilleur de chaque pupitre où se distinguent des instrumentistes attentifs, inspirés, collectifs avant tout, ce qui leur permet de conférer un sens musical à chacune des trois partitions, touches de romantisme pour L’Oiseau de feu, racine populaires pour Petrouchka et frénésie explosive pour Le Sacre du printemps. Des piani les plus intimes aux tutti les plus fracassants, Mäkelä impressionne par sa sérénité et son impressionnante maîtrise. Un sacre pour ce jeune homme qui fait fi du nombre des années pour laisser s’exprimer sa valeur.
 

© Jean-Louis Fernandez
 
Côté grand écran, pour L’Oiseau de feu, Rebecca Zlotowski recycle les rushes de son film Planetarium (2016) dans une composition esthétisante où l’on retrouve Natalie Portman, Lilly-Rose Depp et Emmanuel Sallinger, entre autres. Un cast exceptionnel pour une histoire de sœurs médiums avec un rapport pour le moins étrange, puisqu’inexistant, avec la partition de Stravinski.
« Divergence visuelle tant sur la forme que sur le fond », le film de Bertrand Mandico pour Petrouchka est une rêverie trash projetée en diptyque sur le grand écran. Une composition qui peut trouver ici du sens même si elle fut diversement reçue dans la salle.
Pour l’explosion finale du Sacre du printemps, Evangelia Kranioti propose un documentaire fiction empli de nature et de violence urbaine entre l’Arctique et l’Amazonie. Un voyage aux couleurs initiatiques qui, lui aussi, a du mal à entrer en osmose avec la partition tellurique de Stravinski.
Finalement, c’est la musique qui l’a emporté par K.O. dans cet espace hors du temps qu’est le Stadium. Un lieu qui prouve, si besoin en était, que la culture vivante est une réalité et que des projets de création, et non pas d’actualisation, peuvent voir le jour avec leurs imperfections, mais aussi leurs qualités et leur puissance.
 
Michel Egéa
 

 
Ballets Russes – Festival d’Aix-en-Provence, Stadium de Vitrolles, 10 juillet 2013
 
Photos © Jean-Louis Fernandez

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