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Werther à l'Opéra de Montpellier – Question de perspective – Compte-rendu

 

C’est à Montpellier que Marie-Nicole Lemieux a choisi de faire ses premiers pas en Charlotte. Cet événement suffit peut-être déjà à fausser notre perspective sur la production présentée à l’Opéra-Comédie, comme si le chef-d’œuvre de Massenet se décentrait au détriment du rôle-titre et au profit du personnage féminin. Il fallait aussi trouver pour elle un spectacle apte à mettre en valeur la contralto québécoise, où elle puisse se sentir à l’aise pour sa prise de rôle, sans être obligée de faire les pieds au mur ou de se promener en nuisette. Créée à Nancy au printemps 2018, la mise en scène de Bruno Ravella (reprise par José Dario Innella) ne manque pas d’élégance et sait résoudre les problèmes que pose cet opéra. Cette nature qui inspire le héros, le décor l’inclut mais déjà filtrée par le regard humain, sous la forme de fresques défraîchies qui ornent d’abord la maison du bailli, y compris le plafond qui se soulève et pivote parfois pour révéler un paysage prolongeant ces peintures ou un pan de ciel bleu. Quant au vallon où le voyageur ne trouve plus que deuil et que misère, il est évoqué au troisième acte par le vaste papier peint panoramique ornant l’intérieur de Charlotte et d’Albert, avant que le décor ne se limite finalement au plancher et au plafond de la première partie, privés de leurs murs et de leurs couloirs en forte perspective. Dans ce cadre, les protagonistes évoluent dans des costumes de l’époque de Goethe. La pandémie oblige aussi à revoir notre point de vue sur l’œuvre : les attitudes ont dû être modifiées pour éviter tout attouchement prolongé, et il faut donc imaginer les baisers passionnés et les étreintes, Werther mourant désormais à plusieurs mètres de Charlotte et non dans ses bras.
 
© Marc Ginot

La distribution réunie à Montpellier est presque exclusivement francophone et composée de jeunes chanteurs. Dans le couple Schmidt et Johann, “les vieux”, on remarque surtout le ténor Yoann Le Lan, au timbre percutant. Julien Véronèse prête au Bailli une voix pleine de santé, et c’est fort bien ainsi. Sophie est un rôle qui convient parfaitement aux moyens de Pauline Texier, qui l’interprète avec beaucoup de fraîcheur, ses deux airs étant ici transformés en chansons qu’entonne la jeune fille, l’air du rire étant même censé être accompagné au clavecin par Charlotte ; on aimerait prochainement entendre la soprano dans un rôle comme Sœur Constance de Dialogues des Carmélites. Jérôme Boutillier fait d’Albert un personnage avec lequel il faut compter et non un cocu ennuyeux qui a avalé son parapluie ; si la voix est sonore et la diction mordante, la scène de désespoir muet qu’on lui confie entre le troisième et le quatrième est par ailleurs un extraordinaire numéro d’acteur.
De la Charlotte de Marie-Nicole Lemieux, on retient d’abord une diseuse exemplaire, pleine de nuances, articulant sur le souffle tout ce qui s’apparente à du récitatif. Les éclats sont également maîtrisés, sans excès de vibrato, mais avec toute l’intensité dramatique souhaitable. Quel Werther pouvait être son partenaire ? Montpellier a fait le pari d’inviter un ténor qui ne s’est à peu près jamais produit sur une scène française (hormis un concert à Rennes en 2012). Le Guatémaltèque Mario Chang possède de remarquables ressources vocales et accomplit un très bel effort pour prononcer le français (seuls les e muets et accentués posent encore problème) ; il faut maintenant que ce travail soit assimilé pour que l’artiste se libère pleinement, car on a plus d’une fois l’impression que le ténor se bride, pour ne se lâcher que dans les aigus forte.
 

© Marc Ginot
 
Déployé dans la fosse et dans tout le parterre, l’Orchestre national Montpellier Occitanie bénéficie de cette disposition spécial-Covid pour plonger l’auditeur dans un bain sonore où, grâce à la direction animée de Jean-Marie Zeitouni, déjà présent à l’Opéra national de Lorraine en 2018, on ne perd pas un détail de l’écriture massenétienne. Le chef canadien privilégie les contrastes et, en complicité avec Marie-Nicole Lemieux, autorise parfois à Charlotte des tempos extrêmement étirés, notamment pour l’air des larmes où l’émotion atteint un sommet, sans pour autant s’alanguir indûment au dernier acte. Après la représentation publique de ce jeudi 20 mai, la captation réalisée au préalable permettra de mieux apprécier encore ce Werther montpelliérain.

Laurent Bury

Massenet : Werther – Montpellier, Opéra-Comédie, 18 mai ; prochaine représentation le 20 mai 2021 // www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenement/werther
 
Photo © Marc Ginot
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