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Verbier Festival - Pelléas dans toute sa splendeur - Compte-rendu

Chaque année, le Festival de Verbier réserve des surprises. Pour son édition 2012, Pelléas et Mélisande aura sans conteste marqué les esprits. La direction de Charles Dutoit à la tête des jeunes musiciens de l’Orchestre du Festival de Verbier offre un moment exceptionnel de musique pure dans une version de concert qui révèle toute la splendeur d’une partition entre ombre et lumière, tension et mystère. Débarrassés de toute machinerie scénique, les interludes prennent leur véritable dimension, créant des instants de bonheur sonore ; illustration de la qualité obtenue par les instrumentistes de Verbier conscients de l’enjeu de cette unique représentation de prestige.

Dans cette œuvre où les mots sont intimement liés à l’effet sonore, tout serait parfait sans la prononciation exotique de Magdalena Kožená en Mélisande qui privilégie une belle ligne de chant aux dépens de l’articulation. Très présente théâtralement malgré l’absence de mise en scène, elle ne caractérise pas la jeune fille venue d’ailleurs symbolisée par Maeterlinck, mais insiste davantage sur la figure d’une adolescente insidieuse tirant perfidement les ficelles du destin. A ses côtés, Stéphane Degout incarne un Pelléas d’une éclatante évidence avec une voix charnue et bien projetée dans tous les registres. Le héros de la soirée est pourtant le vétéran José Van Dam totalement habité dans le rôle de Golaud : déclamation parfaite, juste intonation, profondeur de l’identification entre violence et désespoir poignant. Avec une intelligence exceptionnelle, il réussit à faire oublier un timbre devenu plus mat et des aigus moins faciles que par le passé. L’Arkel de luxe de la basse Willard White, plus Wotan ou Mephisto que vieillard pressentant le souffle de la mort, est impressionnant d’autorité et de classe. Le français très stylé de la contralto anglaise Catherine Wyn-Rogers en Geneviève (parfaite de tenue vocale dans la lecture de la lettre à l’acte I) comme la sobriété toute patricienne du jeune Justin Hopkins (médecin et berger) ou la sobriété de la soprano Julie Mathevet (Yniold) sont un complément de choix à cette distribution qui restera dans la mémoire du festival.

Les concerts symphoniques apportent aussi leurs instants d’émotion à l’exemple de la prestation de Maxim Vengerov remplaçant au pied levé Christian Tetzlaff dans le Concerto pour violon de Brahms. Rare ces dernières années sur les scènes internationales, le violoniste russe n’a rien perdu de son art souverain (Vengerov signe la cadence de l’Allegro non troppo initial) mais a gagné en intériorité. Il bénéficie de l’accompagnement au lyrisme chaleureux du chef néerlandais Jaap Van Zweden à la tête du Verbier Festival Orchestra. Dans la Symphonie n°4 de Mahler, malgré quelques imperfections instrumentales, son engagement et le naturel de sa direction emportent l’adhésion. Dans le lied final, la soprano Kate Royal manifeste pureté de ton et retenue exemplaire.

On retiendra également la finesse de l’archet de Daniel Hope dans le rhapsodique Double concerto pour violon et alto de Max Bruch, où il établit un dialogue serré avec l’alto sensuel de Lawrence Power et les membres du Verbier Festival Chamber Orchestra conduits par Gàbor Takàcs-Nagy. Après l’entracte, Renaud Capuçon, depuis sa place de premier violon imprime aux mêmes musiciens chambristes une énergie contagieuse au Quatuor « La jeune fille et la mort » (dans l’arrangement de Gustav Mahler) en compagnie de Daniel Hope, Lawrence Power, Gautier Capuçon, et des cornistes James Ferree et David Sullivan.

Alexandre Tharaud est plus attaché à la forme qu’à l’irisation colorée du Livre I des Préludes de Debussy. En revanche, il fait preuve d’imagination, de fantaisie ludique et de poésie arachnéenne dans un bouquet contrasté de 10 sonates de Scarlatti. Autre conception du clavier avec la prometteuse Alice Sara Ott (23 ans) dramatique - parfois à l’excès - dans la Sonate en ré majeur D 850 de Schubert dont l’exécution appuyée ne fait pas oublier les marteaux du piano. Sa conception des Tableaux d’une exposition de Moussorgski convainc davantage : architecturée, diversifiée, elle culmine puissamment dans La Grande Porte de Kiev. En bis, La Campanella de Liszt confirme sa maîtrise digitale et sa musicalité sans fard.

Michel Le Naour

Suisse, Verbier (salle des Combins et église), les 23, 24 et 26 juillet 2012

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Photo : Nicolas Brodard
 

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