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​Une interview de Simone Menezes, cheffe d’orchestre – Pour l’amour de Villa-Lobos

 
L’attachement de Simone Menezes à la musique d’Heitor Villa-Lobos (1887-1959) et sa volonté de la faire largement connaître ne datent pas d’hier ; on se souvient qu’elle a lancé en 2014 le «Villa-Lobos Project » avec sa compatriote pianiste Sonia Rubinsky. A la fin de l’année dernière, on a découvert sous sa baguette un remarquable enregistrement (1), d’une suite symphonique tirée des Forêts d’Amazonie de Villa-Lobos (avec la soprano Camila Provenzale et le Philharmonia Zürich), partition que la cheffe italo-brésilienne avait donnée en octobre 2020 à Rouen, accompagnée de prodigieuses images de Sebastião Salgado (2).
Comme nous vous l’avions promis en novembre dernier en évoquant l’admirable récital Villa-Lobos (La Dolce Volta) de Wilhem Latchoumia (3), Concertclassic donne aujourd’hui la parole à Simone Menezes. Pour évoquer l’auteur des Bachianas brasileiras, évidemment, mais aussi pour en savoir plus l’original programme Fauré-Sibelius ("mis en mouvement" par Thierry Thieû Niang) qu’elle dirige à l’Orchestre de chambre de Paris les 27 et 28 janvier (Cité de la musique) sans oublier les activités de l’Ensemble K (4), fondé par la cheffe en 2019 et dont la réputation va croissant.
 
 

© Charbel Chaves
 
La musique de Villa-Lobos est chère à votre cœur. Un compositeur que l’on entend trop peu en France, pays qui a pourtant beaucoup compté dans son évolution et auquel il était profondément attaché. Qu’est-ce qui vous paraît faire la modernité de Villa-Lobos ?
 
Villa-Lobos est un compositeur particulièrement actuel en raison de son lien très fort avec la nature ; il disait que sa musique chante les cours d’eau, les forêts. Il est d’ailleurs intéresser de noter que le compositeur est très apprécié au Japon – donc d’une culture très sensible à la nature. Villa-Lobos présente une synthèse de plusieurs éléments. On y trouve un primitivisme rythmique, qu’on peut rapprocher de Stravinsky, associé à un lyrisme très puissant, un sens mélodique très profond. Cet aspect provient à mon avis de l’influence portugaise. Le troisième pilier de l’art de Villa-Lobos, c’est la couleur, résultat d’une forte influence de la musique française reçue pendant les années passées de ce côté-ci de l’Atlantique. Diriger sa musique fait appel à quelque chose de plus proche des exigences de celle de Ravel que de celle de Stravinsky. Cette combinaison du rythme, du lyrisme et de la couleur est la clef pour saisir la singularité de Villa-Lobos.
 

 
Vous avez enregistré Les Forêts d’Amazonie ; vous auriez pu miser sur des ouvrages plus connus : pourquoi avoir choisi cette réalisation très tardive de Villa-Lobos ?
 
Un ouvrage tardif en effet, qui correspond à une période où Villa-Lobos considérait ne plus avoir rien à prouver ; il faisait la musique qui lui plaisait. Les Forêts d’Amazonie synthétisent son art. C’est un chef-d’œuvre qui mériterait d’être beaucoup plus connu et c’est pourquoi, plutôt que d’enregistrer la version longue avec chœur d’hommes, j’ai préféré réaliser – en collaboration avec les musicologues de l’Académie brésilienne de musique – une suite symphonique (de 11 numéros dont 5 font appel à une soprano ndlr) de 45 minutes qui peut facilement trouver sa place en concert.
 

© Bruno Bonansea
 
Le public parisien va vous retrouver les 27 et 28 janvier avec l’Orchestre de chambre de Paris dans un programme Fauré, Sibelius, Read Thomas qui marquera votre première apparition à la tête de cette formation. Un concert « mis en mouvement » ?
 
Je suis très heureuse d’être impliquée dans un projet qui fait appel au chorégraphe Thierry Thieû Niang. Un vrai cadeau, que j’apprécie d’autant plus que la musique de Fauré m’est très chère. Fauré n’est pas l’homme des grandes symphonies, mais ce n’est pas un critère pour évaluer un compositeur. Il a une façon tellement naturelle d’écrire ; c’est un peu un Mozart du XXe siècle. On a l’impression d’une musique qui préexistait et qu’il aurait matérialisée. Cet aspect très naturel de Fauré me parle beaucoup. Le programme s’organise autour du thème de Pelléas et Mélisande. Entre les ouvrages de Sibelius et Fauré, l’Orchestre de chambre de Paris a passé commande à Augusta Read Thomas d’une partition en hommage à Fauré : L’Envers des destinées. Pour orchestre, violoncelle et baryton-basse (Albert Kuchinski et Laurent Naouri ndlr), l’œuvre est construite à partir de quelques fragments tirés de la suite Pelléas et Mélisande de Fauré. J’ai été assez surprise en la découvrant : je m’attendais à quelques chose de plus américain, très énergique ; tout au contraire Augusta a écrit avec un sens de la nuance très ... fauréen !
Thierry Thieû Niang a décidé de travailler avec des danseurs amateurs, les uns jeunes, les autre de plus de soixante ans. Le résultat est très touchant et se termine sur la mort de Mélisande.
 

L'Ensemble K © DR
 
En conclusion, pouvez vous nous en dire un peu plus sur votre Ensemble K ?
 
L’Ensemble est né en 2019 et est en résidence à Croix, petite commune du nord de la France. K est une formation à géométrie variable constituée de musiciens venus de Bruxelles, Paris ou Lille. Le noyau dur comprend une quinzaine de membres ; sur certains projets en plus grand effectif ces musiciens deviennent chefs de pupitre et nous pouvons alors compter jusqu’à 45 personnes. Mon but a été de construire un ensemble avec une vraie pensée chambriste élargie, de réunir des musiciens qui ont de vraies affinités et qui éprouvent du plaisir faire de la musique ensemble.
Le travail commence à porter ses fruits : l’an dernier notre projet « Metanoia » à été primé par les International Classic Music Awards. Nous avons par ailleurs commandé une version pour 15 musiciens de la Shéhérazade de Rimski-Korsakov, qui sera donnée (en octobre prochain) accompagnée d’un texte formé d’extraits des Mille et Une Nuits. Plus près de nous, le 31 janvier à l’Opéra de Lille, on pourra entendre un concert de musique de chambre en trio, intitulé « Shéhérazade et les Belles éveillées », avec des pièces de Rimski-Korsakov, Amy Beach, Ernest Bloch et Lili Boulanger.
 

Propos recueillis par Alain Cochard le 13 janvier 2024
 

 
Orchestre de chambre de Paris, dir. Simone Menezes / Laurent Naouri, Albert Kuchinski
Œuvres de Fauré, Sibelius, Augusta Read Thomas (création)
27 janvier (20h) & 28 janvier (16h) 2024
 Paris – Cité de la musique
www.orchestredechambredeparis.com/

 
 (1) 1 CD Alpha 990
 
(2) www.concertclassic.com/article/foret-damazonie-inaugure-le-cycle-musique-images-de-lopera-de-rouen-heitor-villa-lobos
 
(3) www.concertclassic.com/article/wilhem-latchoumia-joue-villa-lobos-paris-et-metz-des-couleurs-et-du-souffle
 
(4) www.ensemblek.com/
 
(5)  Avec Manon Galy (violon); Mara Dobresco (piano) et Kasper Nowak (violoncelle) www.opera-lille.fr/spectacle/belles-eveillees/

Photo © Daniela Cesaroli

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