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Une interview de Bruno Hamard, directeur général de l’Orchestre de Paris - « Nous disposons à la Villette d’un outil extraordinaire »

Avec l’Ensemble intercontemporain (1), l’Orchestre de Paris est l’un des deux orchestres résidents de la Philharmonie de Paris, et inaugure d’ailleurs officiellement celle-ci avec deux concerts les 14 et 15 janvier. La formation de Paavo Järvi quitte donc Pleyel pour s’installer en un lieu qui lui ouvre beaucoup de perspectives, tout comme à son Chœur (dirigé par Lionel Sow). Directeur général de l’Orchestre de Paris, Bruno Hamard répond à Concertclassic.
 
L’Orchestre de Paris quitte la Salle Pleyel pour s’installer à la Philharmonie de Paris. Comment abordez-vous ce changement complet de situation géographique et la conquête de nouveaux publics qu’il suppose ?
 
Bruno HAMARD : Avec enthousiasme ! Avant tout, il convient de rappeler que ce n’est pas la première fois que l’Orchestre de Paris change de lieu depuis qu’il existe. Non seulement il a survécu à tous ces changements mais il en est en général sorti bonifié. L’Orchestre a un public fidèle qui l’a suivi depuis les origines et qui le suit aujourd’hui à la Philharmonie si l’on en croit le retour que nous avons de nos abonnés. Mais cela ne pourra se juger que sur le long terme. Je suis plutôt très optimiste pour les mois qui viennent : nous avons d’ores et déjà atteint 83% de nos objectifs de billetterie alors que la Philharmonie n’est pas encore ouverte. C’est une situation à ce jour très satisfaisante. Nous nous installons dans une salle plus grande, avec une offre de places plus importante et nous souhaitons faire venir le maximum de monde.
Mais, encore une fois, nous ne nous situons pas dans l’urgence. Un orchestre symphonique a par nature une activité qui se juge sur le long terme : il faut du temps pour préparer un musicien, pour faire qu’un orchestre trouve une cohérence interne lui permettant d’interpréter aussi bien les œuvres du répertoire que les créations. On se situe, sinon dans un temps long, du moins dans un moyen terme et nous disposons à la Villette d’un outil extraordinaire tant au service de la musique que du public. L’infrastructure que les spectateurs trouveront à la Philharmonie est infiniment plus confortable que celle de Pleyel et surtout nous allons pouvoir proposer autour des concerts toute une série d’activités que nous n’étions pas en mesure d’offrir à Pleyel. Le public est un enjeu important mais, si je m’en tiens aux faits et aux achats de places à la Philharmonie, nous sommes sur une tendance très positive.
 
Venons-en maintenant au jeune public dont l’Orchestre de Paris se préoccupait déjà beaucoup à Pleyel : quels sont vos projets en ce domaine à la Philharmonie ?
 
B.H. : Comme vous le rappelez, l’Orchestre de Paris menait déjà une politique très active en direction du jeune public à Pleyel. L’an dernier nous avons accueilli près de 40000 jeunes aux manifestations de l’Orchestre sous diverses formes, des concerts de musique de chambre dans les maternelles à nos répétitions publiques, en passant par des concerts pensés pour le jeune public, avec un échantillonnage complet des âges puisque l’on va des maternelles à des concerts pour les élèves qui passent leur bac. Mais nous étions limités à Pleyel par l’infrastructure dont nous disposions – une seule salle, pas de salle de répétition, pas d’espace pour des ateliers, pour des rencontres.
 
L’approche de la musique et de la musique symphonique se fait par la petite porte ; il est important de présenter aux enfants les instruments, d’établir une relation de proximité avec les musiciens avant de les installer dans l’écrin d’une grande salle. Tout ça était très complexe à Pleyel et deviendra infiniment plus facile à la Philharmonie puisque nous disposons d’une structure où l’on trouve au même endroit les moyens permettant d’accueillir les scolaires tout comme les parents avec leurs enfants dans des conditions qui n’existaient pas à Pleyel. Ce n’est pas tant une révolution dans la nature de ce que l’on va présenter – et ce que je vous dis à propos du jeune public est valable pour les concerts d’une façon générale -  nous ne passons pas de l’ombre à la lumière, nous ne sommes pas dans une révolution complète, mais dans un changement de structure. Nous faisions de la grande cuisine à Pleyel, nous continuerons à en faire à la Philharmonie, dans une salle plus vaste et avec des conditions d’accueil bien meilleures. Mais la cuisine reste la même.
 
La cuisine reste la même, mais... n’est-elle pas tout de même susceptible d’évoluer un peu, que ce soit en termes de répertoire ou de quantité de propositions faites au public ?
 
B.H. : En termes de répertoire, il n’y aura pas sur le fond de révolution ; l’orchestre symphonique est fait pour servir un certain type de répertoire. Dans la manière de présenter ce répertoire en revanche, il peut y avoir des différences. On conserve pour une part de la programmation les concerts de type traditionnel (ouverture, concerto, symphonie), ce qui correspond à une attente du public qui aime la musique classique et, pour les musiciens, à un rythme de travail cohérent.
A côté de cela, pendant les week-ends, des propositions thématiques sont faites : on a par exemple un week-end « Love Story » autour de la Saint-Valentin, un week-end autour de l’Allemagne, un autre de l’Amérique du Sud. Là, on trouvera un mélange de concerts, d’interventions de musiciens en musique de chambre, de croisements avec d’autres genres musicaux (Ute Lemper se produira pendant le week-end Allemagne, Richard Galliano pendant celui sur l’Amérique du Sud). Ces croisements ont pour but de faire découvrir au public de nouveaux répertoires mais aussi l’infinie variété des répertoires existants. Cette offre va au cours du temps évoluer en fonction de divers facteurs, de la réaction du public, de son intérêt pour tel ou tel type de forme plutôt que pour tel autre. Nous sommes là pour servir la musique, mais au service du public. L’offre évoluera aussi en fonction de ce que pourra être l’évolution de l’Orchestre de Paris dans les années à venir puisque nous aurons un nouveau directeur musical à partir de 2016.
 
Paavo Järvi a imprimé une formidable dynamique à l’Orchestre. Mais il est une autre formation qui témoigne elle aussi d’une belle santé : le Chœur de l’Orchestre de Paris. Quelques mots sur celui-ci…
 
B.H. : C’est un élément très important pour nous. Au même titre que l’Orchestre de Paris, le Chœur est une institution : il fêtera son 40ème anniversaire en 2016 et a été créé, on s’en souvient, à l’initiative de Daniel Barenboim. C’est un structure qui a donc son histoire, qui regroupe un peu plus de 130 chanteurs amateurs ; c’est un pont entre la musique professionnelle et la musique amateur et la Philharmonie de Paris est l’occasion de développer ses activités. D’abord avec un chœur de 85 enfants que nous avons mis en place depuis septembre dernier. C’est un point important que nous souhaitons développer. Nous mettons en place aussi une Académie du Chœur, en partenariat avec les conservatoires de la Ville de Paris notamment. Elle permet d’offrir à de jeunes chanteurs, issus de ces conservatoires et qui pour certains d’entre eux se destinent à devenir des professionnels, une ou plusieurs expériences de chœur symphonique. Le Chœur est un creuset de croisements entre le monde musical professionnel et le monde musical amateur, et quelque chose de symbolique de ce qu’est la Philharmonie et de son souhait de démocratisation et d’ouverture.
 
Une pétition relative à la concurrence que le Chœur de l’Orchestre de Paris ferait aux ensembles professionnels a circulé il y a peu. Quels commentaires vous inspire ce document ?
 
B.H. : Je pense que c’est un mauvais procès. En lisant ce document on peut avoir l’impression qu’on a décidé à l’occasion de l’ouverture de la Philharmonie de créer un chœur amateur pour faire du mal aux chœurs professionnels. Ça fait tout de même près de quarante ans que le Chœur de l’Orchestre de Paris existe. Si vous regardez les chiffres, entre janvier et juin il y a à peu près 160 concerts classiques tous genres confondus à la Philharmonie. Sur ces 160 concerts, une trentaine qui font appel à des chœurs ; 14 chœurs professionnels vont être engagés durant cette période, le Chœur de l’Orchestre de Paris ne faisant lui que huit productions. On est dans des proportions tout à fait normales ; il y a une complémentarité entre chœurs symphoniques professionnels et chœurs amateurs, entre le Chœur de l’Orchestre de Paris et celui de Radio France s’agissant de Paris, comme dans tous les pays où la musique est active et vivante. A aucun endroit les chœurs amateurs n’empêchent les chœurs professionnels de faire leur métier.
Le document auquel vous faites allusion prétend aussi que la gratuité expliquerait que l’on ait recours à un chœur amateur. Les chanteurs sont certes des amateurs mais nous leur finançons plus de mille heures de cours de chant par an, une infrastructure entoure le Chœur ; il a un coût pour l’Orchestre de Paris.
En vous disant cela, j’ai le sentiment de défendre une évidence : le Chœur n’a pas été créé pour la Philharmonie, il ne prend pas toute la place. En tout état de cause, il ne serait pas en mesure de le faire, tout simplement parce qu’il est constitué d’amateurs. Ceux-ci ont tous ou pratiquement une activité professionnelle, ils répètent deux ou trois soirs par semaine et, par conséquent, ne peuvent servir qu’un nombre réduit de productions. Ils n’ont pas du tout l’activité que pourrait avoir un grand chœur professionnel permanent.
 
Propos recueillis par Alain Cochard, le 8 janvier 2015
 
 (1) Lire l'article de Jean-Guillaume Lebrun sur l'Ensemble intercontemporain : www.concertclassic.com/article/lensemble-intercontemporain-la-philharmonie-de-paris-un-espace-pour-jouer-avec-son-temps
 
Photo © DR
 
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