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​Tancredi à l’Opéra de Rouen Normandie – Le sabre et le goupillon – Compte-rendu

Qu’il y ait des armures et des épées dans Tancredi, c’est assez prévisible – à condition que l’action se déroule plus ou moins au Moyen Âge plutôt que sur la lune. Sur ce plan, le spectacle monté par Pierre-Emmanuel Rousseau à l’Opéra de Rouen respecte l’univers de convention de la Jérusalem délivrée, dans un cadre médiéval plus imaginaire qu’historiquement exact. Le metteur en scène signe également la scénographie et les costumes, dans un séduisant camaïeu de noir et d’or. Là où son intervention se fait davantage sentir, c’est dans l’introduction de l’élément religieux, qui se superpose à cet univers guerrier. Très chrétiens sont les chevaliers : croix omniprésentes, tout un collège de cardinaux en guise de chœur – les effectifs exclusivement masculins utilisés par Rossini facilitent la chose – et, dans la fonction d’accessoiristes, quatre duègnes à la mine revêche qui apportent sur le plateau les différents éléments nécessaires.
 

La sauce prend véritablement à la fin du premier acte, lorsque Amenaide est rejetée par son père, la direction d’acteur se corsant alors pour une deuxième partie où l’intrigue prend une tournure quasi shakespearienne. La malheureuse princesse apparaît dans sa prison tondue et en chemise sale, telle qu’on a pris l’habitude de voir la Ginevra d’Ariodante, autre innocente injustement condamnée, ou la Marguerite de Goethe dans sa cellule – les duègnes ont préalablement tranché ses longs cheveux à la rousseur préraphaélite et l’ont dépouillée de ses habits, le personnage ayant fini le premier acte en nuisette. On aurait pu se dispenser du cheval mort des premières scènes (pourquoi tous les personnages se prosternent-ils devant lui ?), mais le spectacle opte pour un juste milieu, dans la large palette d’esthétiques proposées par l’Opéra de Rouen, entre le carton-pâte de la Carmen de début de saison et les vidéos déconseillées au moins de 16 ans du Tristan à venir.
 

© Marion Kerno / Agence Albatros

Suite au forfait in extremis d’Antonello Allemandi, il a fallu trouver un nouveau chef. Très bonne pioche avec George Petrou, dont la direction énergique donne à l’orchestre un caractère dru et vigoureux conforme au drame. Après s’être fait connaître dans le répertoire baroque, le chef grec a pu montrer, notamment à Pesaro même, que Rossini lui convenait fort bien. Les ténors et les basses du chœur accentus se révèlent également à la hauteur.

La distribution comprend deux jeunes artistes français dans les petits rôles. Le ténor Benoît-Joseph Meier, réduit aux utilisés avec Roggiero, et surtout la mezzo Juliette Mey. Très remarquée au sein de Génération Opéra et Révélation lyrique aux dernières Victoires de la Musique, elle livre une prestation tout à fait correcte mais sans que le personnage assez limité d’Isaura lui permette vraiment de s’épanouir, bien qu’il dispose d’un air. Giorgi Manoshvili prête à Orbazzano un timbre opulent et sombre comme il convient, et l’on aimerait réentendre cet artiste dans un rôle de premier plan.

© Marion Kerno / Agence Albatros

La voix du ténor argentin Santiago Ballerini paraît d’abord tendue comme un arc, Argirio devenant un personnage plus crispé que jamais, en particulier dans son air du début du deuxième acte, ici présenté comme une sorte de « scène de la folie » à la manière romantique ; l’extrême aigu se dérobe un peu, mais l’acteur impressionne. Excellente actrice, en particulier tout au long du deuxième acte, la soprano espagnole Marina Monzó réussit à combiner la pyrotechnie exigée par la partition, les accents angéliques de l’héroïne douce et pure, et une densité vocale qui évite de transformer la princesse en soubrette.

© Marion Kerno / Agence Albatros

Quant à Teresa Iervolino, on ne voit à aucun moment son Tancrède rouler des mécaniques : le chant est sobre, jamais appuyé, et l’interprète est émouvante, notamment dans sa mort puisque ce n’est pas la version de Venise et son lieto fine qui a été retenue ici, mais celle de Ferrare, particulièrement noire dans ses derniers instants. Et dans notre pays où le Rossini serio a tant de mal à s’implanter, il se murmure déjà que l’Opéra de Rouen présentera dans un avenir proche une autre œuvre également inspirée par une tragédie de Voltaire, ce dont on ne saurait que se réjouir…

Laurent Bury

 

 
Rossini : Tancredi - Opéra de Rouen Normandie, 12 mars ; prochaines représentations les 14 16 mars 2024 // www.operaderouen.fr/programmation/tancrede/
 
Photo © Marion Kerno / Agence Albatros

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