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Rencontre avec Hanna Salzenstein – Violoncelle poète

 
Premier disque solo d’Hanna Salzenstein, que l’on connaissait jusqu’ici en tant que membre du Consort, « E il violoncello suonò » retrace certes l’émergence de la voix du violoncelle au XVIIIe siècle, mais nous fait aussi découvrir celle, singulière et prenante, d’une instrumentiste poète, entourée d’amis instrumentistes : Justin Taylor, Théotime Langlois de Swarte, Thibaut Roussel, Albéric Boullenois et Marie-Ange Petit. Un merveilleux moment de complicité musicale

 

 
Qu’on le considère dans sa globalité ou par les initiatives individuelles des personnalités que le constituent, Le Consort est un précieux et irremplaçable cadeau fait à la vie musicale. Peu après la parution de l’original programme « Miss Philharmonica » (Alpha) et du somptueux récital « Bach et l’Italie » (Alpha) de Justin Taylor, et tandis que l’on guette la sortie d’une anthologie de concerti de Vivaldi sous l’archet de Théotime Langlois de Swarte, accompagné du Consort (Harmonia Mundi), c’est au tour de la violoncelliste Hanna Salzenstein de signer son premier disque solo, « E il violoncello suonò », pour le label Mirare. Un programme très original qui raconte l’émergence de la voix du violoncelle au XVIIIe siècle au fil de pages de compositeurs italiens, l’un plus que célèbre, Vivaldi, les autres aussi méconnus que séduisants : Dall’Abaco, Garavaglia, De Ruvo et Taglietti.
 

© Robin Davies

 
Découverte émerveillée
 
Venue du violoncelle moderne, qu’elle a étudié au CNSMDP avec Michel Strauss et Raphaël Pidoux, Hanna Salzenstein s’est ensuite formée au violoncelle baroque auprès de Christophe Coin. Les années à la Villette ont aussi été le moment de la rencontre avec deux autres étudiants, Justin Taylor et Théotime Langlois de Swarte, et de leurs premières collaborations, sur instruments modernes d’abord. La très belle entente humaine et musicale qui régnait entre eux n’a pu qu’inciter la violoncelliste à suivre ses deux amis instrumentistes en terre baroque – découverte émerveillée d’un répertoire et des libertés qu’il offre à ses interprètes ...
 
22 avril 2017 : Hanna Salzenstein se produit pour la première fois en concert au sein du Consort dans le cadre du Festival de Pâques de Deauville avec un programme Rameau, Bach et Mozart – une fois de plus la manifestation normande aura fait preuve d’un sacré flair ...  L’aventure du Consort commence. Enregistré en 2018, un disque Dandrieu (Alpha) vient conforter l’essor du jeune ensemble. Si Hanna Salzenstein a eu l’occasion de parfaire son expérience du monde baroque en collaborant avec des ensembles tels que Les Ombres, Le Poème Harmonique, Les Arts Florissants ou Le Concert de la Loge, le Consort demeure depuis le départ son centre de gravité, irremplaçable par « l’entente collective, le bonheur dans l’échange » entre des musiciens qui conservent leur individualité.
 

Avec Marie-Ange Petit © Robin Davies

 
Entre sonates et pièces de forme plus libre

 
Un premier disque en solo ? « Je suis lauréate (2021) de la Fondation Banque Populaire et ce disque est l’un des projets que je voulais mener à bien avec son aide, explique Hanna Salzenstein. L’idée m’est venue il y a pas mal de temps à partir d’accroches que j’avais eues avec certaines pièces, à commencer par le 1er Caprice en ut mineur de Giuseppe Maria Dall’Abaco (1710-1805), que j’avais d’ailleurs joué lors de l’audition de la Fondation – un morceau qui avait beaucoup séduit Philippe Hersant, président du jury, il me l’a confié par la suite. La préparation d’une autre audition m’avait amenée à découvrir la Sonate en ré mineur de Giorgio Antoniotto (1681-1776). Quant à la Sonate en mi mineur RV 40 de Vivaldi, j’avais déjà enregistré son Largo initial dans le disque « Specchio veneziano (Vivaldi -Reali) du Consort (Alpha) et je souhaitais l’aborder en totalité. »
 
« Autour de ces pages, j’ai eu envie de mélanger des sonates avec des pièces de forme plus libre et mes recherches se sont orientées en ce sens. Sur les conseils de Christophe Coin, j’ai pris contact avec la maison d’édition Musedita, spécialisée dans les répertoires des XVIIe et XVIIIe siècles. J’ai commandé beaucoup de partitions, que je me suis mise à les déchiffrer. A la fin du recueil de sonates de Giulio de Ruvo (c. 1650 - c.1716), j’ai trouvé deux pièces, une Ciaconna et une Tarentella, pour lesquelles il y avait seulement une partie de violoncelle et les quatre premières mesures d’une ligne de basse. L’idée m’est venue de faire appel à la percussionniste Marie-Ange Petit pour restituer le caractère populaire de cette musique. Deux belles trouvailles qui m’ont permis de représenter l’aspect populaire du répertoire de violoncelle et d’illustrer l’école napolitaine, qui a compté après celle de Bologne. Belle découverte aussi que la musique de Giulio Taglietti (1660-1718), un recueil publié alors que le musicien était en activité à Brescia au sein duquel j’ai retenu la superbe Aria da suonare XIX, très vocale, qui ouvre mon programme. »
 

Avec Thibaut Roussel © Robin Davies

Des pages pour violoncelle seul aussi
 
L’émergence de la voix du violoncelle au XVIIIe siècle se produit aussi par l’intermédiaire de pièces en solo. « J’ai fait place à trois caprices de Dall’Abaco, précise Hanna Salzenstein ; des morceaux en mineur, très intérieurs, mes préférés parmi les onze écrits par cet auteur ; le 1er, en ut mineur, dont je vous ai parlé, le 6en mi mineur, et aussi le 2e en ré mineur. Il me fait beaucoup penser au Prélude de la 2e Suite de Jean-Sébastien Bach, que j’ai d’ailleurs joué durant l’enregistrement avant de me plonger dans le Dall’Abaco. C’est l’auteur le plus tardif de mon programme, fils du compositeur Evaristo Felice Dall’Abaco (1675-1742), né en Bruxelles, et qui a effectué une sorte de retour aux sources en s’installant en Italie au milieu du XVIIIe siècle. On lui doit aussi des sonates, de style plutôt galant, qui auraient été moins en rapport avec l’esprit de mon programme. »
 

Avec Théotime Langlois de Swarte © Robin Davies

Musiciens voyageurs
 
« J’ai bâti mon disque avec l’envie de permettre au violoncelle de s’exprimer dans tous ses états, en mêlant des sonates et des pièces de nature différente. J’ai voulu aussi faire découvrir des musiciens méconnus tels que Giovanni Benedetto Platti (1697-1763), qui a beaucoup écrit pour violoncelle, pour hautbois également. Il a vécu en Allemagne ; un musicien voyageur, à l’instar de tous ceux présents sur mon disque, à l’exception de Giulio Taglietti dont toute l’existence s’est déroulée à Brescia. A l’opposé, Antoniotto a connu un destin très européen et une longue existence ; il est mort à 95 ans. J’ai eu un coup de cœur pour sa Sonate en ré mineur. »
 

© Robin Davies
 
Ma petite trouvaille !
 
A propos de coup cœur, Hanna Salzenstein nous offre le premier enregistrement  mondial de la Sonate en sol mineur de Gasparo Garavaglia (dates inconnues, XVIIIe siècle). « Ma petite trouvaille !, lance-t-telle sur un ton affectueux. Elle a été publiée par Musedita avec le concours du violoncelliste Marco Ceccato, que j’ai contacté et qui m’a donné quelques informations sur un compositeur qui n’a pas énormément écrit. Il était maître de chapelle à la cathédrale de Forlì, au sud de Bologne. C’est une très belle partition, le 3mouvement (Grave) notamment, dont Justin et Thibaut se sont emparés avec une inventivité incroyable et qui devient un peu le pendant du mouvement lent de L’Hiver des Saisons de Vivaldi. »
 

Alban Moraud, directeur artistique © Robin Davies
 
Des moments incroyables

 
En découvrant l’enregistrement d’Hanna Salzenstein, on est autant charmé par la vocalité et la noblesse de son archet, que l’amicale et chaleureuse complicité qu’elle entretient avec ses partenaires. Un programme qu’elle avait déjà en partie « testé », en mode violoncelle et clavecin, avec Justin Taylor, au Festival de la Roque d’Anthéron 2022, dans la merveilleuse à acoustique de l’Abbaye de Silvacane. Des cinq journées d’enregistrement à l’Eglise évangélique allemande de la rue Blanche en octobre 2023, l’interprète se souvient avec un bonheur évident. Un moment de spontanéité musicale, d’ébullition interprétative : « Les instrumentations ont été un peu décidées sur le moment, comme c’est très souvent le cas, confie-t-elle. Tout est toujours différent au moment de l’enregistrement de ce que l’on a initialement imaginé. Nous avons essayé beaucoup de choses et rajouté au dernier moment le Largo de la Sonate en si bémol majeur RV 46 de Vivaldi. Je voulais aussi que chaque pièce plaise et parle à ceux qui m’entouraient afin qu’ils ne ressentent pas un seul instant de lassitude.
« Il y a eu des moments assez incroyables : dans le Grave de la Sonate de Garavaglia, Justin a posé un manteau sur le clavecin pour étouffer un peu le son ; l’Aria de Taglietti avec Thibaut à l’archiluth, capté à la fin d’une des journées d’enregistrement, a été une moment assez magique aussi. Quant aux caprices, je les ai joués tôt le matin, toute seule dans l’église. Dans tous les cas je pouvais compter sur Alban Moraud (direction artistique, prise de son, avec Alexandra Evrard à ses côtés) que je connaissais depuis le disque « Une invitation chez les Schumann » (Harmonia Mundi / Stradivari-Musée de la Musique) sur lequel nous nous étions très bien entendus. »

 

Justin Taylor au positif dans la Sonate en trio RV 820 de Vivaldi

Une langue commune
 
La grande Sonate en trio en sol majeur RV 820 de Vivaldi constitue l’un des temps forts du disque et permet à la violoncelliste de dialoguer avec le violon – aussi radieux qu’à l’accoutumée – de Théotime Langlois de Swarte. « Une sonate pleine de jeux d’imitation ­– dont j’avais déjà joué certains mouvements en concert avec Théotime – différente des sonates pour violoncelle, d’un langage plus intérieur. On a affaire ici à quelque chose de plus ouvert, plus lumineux, énergique et solaire. »
« J’étais entourée pour ce disque de musiciens avec lesquels je parle la même langue et sur un répertoire dans la continuité de celui du Consort, conclut Hanna Salzenstein. » Et le résultat est là, d’une évidence et d’une imagination poétique qui signalent une admirable musicienne. Mieux, une artiste.
 

Albéric Boullenois © Robin Davies

Trois rendez-vous à la Folle Journée
 
Le moment est venu de bientôt la retrouver en concert, ce d’abord au sein du Consort. Après le Festival Baroque de Pontoise (19 janvier / Valmondois, église de Saint-Quentin) dans le programme Miss Philharmonica, puis à Salle Gaveau (31 janvier), aux côtés d’Adèle Charvet et de Théotime Langlois de Swarte, dans un programme d’airs d’opéra et de concertos pour violon « Vivaldi le Magnifique », la violoncelliste sera à la Folle Journée de Nantes (1er et 2 février), quelques jours après la sortie numérique de son disque (23 janvier, la sortie physique suivra le 23 février). Elle y donnera à deux reprises le programme « E il violoncello suonò » (les caméras d'Arte en fixeront le souvenir), mais aussi, avec Thibaut Roussel au théorbe et Mathilde Vialle à la viole, un programme Barrière, Bach et Boismortier en réponse à la carte  blanche que lui a offerte René Martin. Barrière, Boismortier : une piste pour un futur enregistrement, qui sait ?
 
Alain Cochard
(Entretien avec Hanna Salzenstein réalisé le 20 décembre 2023)

 

 

« E il violoncello suonò »
Œuvre de Vivaldi, Dall’Abaco, Garavaglia, De Ruvo et Taglietti.
1 CD Mirare MIR 698 / Sortie numérique : 23 janvier ; sortie physique : 23 février 2024
 
Prochains concerts d’Hanna Salzenstein

 
Festival Baroque de Pontoise / 19 janvier 2024
www.festivalbaroque-pontoise.fr/retrouvez-toutes-nos-actualites/19-janv-2024-miss-philharmonica
 
Salle Gaveau / Concerts Parisiens – 31 janvier 2024
www.philippemaillardproductions.fr/page-33/concert-115/adele-charvet-mezzo-soprano.html
 
Folle Journée de Nantes
 
‘E il violoncello suonò »
1er février 2024 (12h45, salle Estampie)
2 février 2024 (11h, salle Arpeggione)
 
Œuvre de Barrière, Bach & Boismortier
2 février 2024 (21h45, salle Pizzicato)
 
www.follejournee.fr/
 
Photo © Manuel Braun

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