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​« Quand le diable frappe à la porte » en avant-première au 15e Festival Musica Nigella – Offenbach-Schoenberg : enthousiasmante rencontre – Compte-rendu

Il est passé entre les gouttes ! Annulé au printemps, le Festival Musica Nigella a pu se dérouler intégralement peu avant que ne tombe la nouvelle du reconfinement. En plus d’une reprise attendue – et réussie – du Hamlet d’Ambroise Thomas au théâtre élisabéthain du Château d’Hardelot (1), l'édition 2020 retenait particulièrement l’attention sur le plan lyrique avec un diptyque Offenbach/Schoenberg, intitulé « Quand le diable frappe à la porte », réunissant Les Trois baisers du diable et Von Heute auf Morgen, l’unique opérette du père du dodécaphonisme. On était d’autant plus curieux d’assister à la rencontre pour le moins inattendue de ces deux ouvrages en un acte que le spectacle s’installera en mars prochain sur la scène du théâtre de l’Athénée, lieu où en 2017, Takénori Némoto (directeur artistique de Musica Nigella) avait conduit un admirable Pierrot Lunaire – poétisé avec une rare intelligence par les marionnettistes de Jean-Philippe Desrousseaux.
 
Les Trois Baisers du diable : Mélanie Boisvert (Jeanne) & Antoine Philippot (Gaspard) © Jean-François Tourniquet
 
L’effectif instrumental du Pierrot lunaire (huit instruments, cinq musiciens) sert d’ailleurs de modèle à T. Némoto pour la transcription qu’il concocte en ce moment en prévision des représentations parisiennes. C’est accompagné d’une réduction pour piano (formidablement défendue par Emmanuel Christien, qui n’avait pourtant pas la tâche facile, chez Schoenberg en particulier ) qu’on a découvert dans le salon Musica Nigella de Tigny-Noyelle (à quelques encablures du Touquet) une avant-première sans décors, mais avec les costumes et déjà pas mal d’orientations scéniques et d’accessoires.
 
Offenbach n’a pas fini de nous surprendre. De presque deux ans antérieurs à la première version d’Orphée aux enfers, Les Trois Baisers du diable, sur un livret d’Eugène Mestépès, furent créés le 15 janvier 1857 aux Bouffes Parisiens. "Opérette fantastique », la partition montre un compositeur marqué par le Freischütz (le personnage qui a conclu le pacte avec le diable se nomme Gaspard, son salut dépend des trois « je t’aime » qu’il réclame à la pure Jeanne – il n’en obtiendra que deux ...) et préfigure certains aspects des Contes d’Hoffmann. Hormis la présence de bijoux, les points communs entre l’ouvrage d’Offenbach et la pochade conjugale de Schoenberg peuvent sembler à première vue bien rares, mais le rapprochement entre deux partitions faisant appel au même nombre de personnages et aux mêmes tessitures tisse des « liens secrets » entre elles, pour reprendre la formule d'Alma Terrasse, la metteuse en scène. Et ce qui intriguait avant le commencement de la soirée fait figure d’évidence au moment où elle se referme.
 
Von Heute auf Morgen : Mélanie Boivert (La Femme) & Antoine Philippot (Le Mari)
 
Le Gaspard puissant et d’une sombre autorité d’Antoine Philippot (photo à dr.) devient Le Mari chez Schoenberg et Mélanie Boisvert (photo à g.), admirable de présence scénique et d’intelligence psychologique (sans parler de la bluffante précision avec laquelle elle se confronte à la redoutable écriture du compositeur viennois) donne l’impression que La Femme de Von Heute auf Morgen est une Jeanne que Gaspard aurait réussi à conquérir. Troublant parallèle ... Pas une réserve non plus sur le reste de la distribution, Benoît Rameau passe avec aisance du brave Jacques des Trois Baisers au Chanteur du Schoenberg, rôle plus modeste mais où il se révèle excellent lors de sa – vaine – intervention finale, au côté de L’Amie, face au couple resoudé. Amie dont Odile Heimburger traduit les penchants libertins après avoir campé (par la voix, mais aussi au violon) un Georges plein d’allant et de piquant chez Offenbach.
Portée par la direction vivante de Takénori Némoto, cette avant-première rend plus qu’impatient de découvrir le spectacle qui s'installera à l'Athénée du 5 au 13 mars.
 
Alain Cochard
Offenbach : Les Trois Baisers du diable / Schoenberg : Von Heute auf Morgen (avant-première dans le cadre du 15e Festival Musica Nigella) – Tigny-Noyelle, salon Musica Nigella, 25 octobre 2020 ; reprise à Paris (Athénée) du 5 au 13 mars 2021 // bit.ly/384sXFK
 
 
(1) www.concertclassic.com/article/hamlet-dambroise-thomas-au-15e-festival-musica-nigella-venez-au-theatre-ophelie-compte-rendu
 
Photo © Jean-François Tourniquet
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