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Ouverture de « ManiFeste-2012 » à Pleyel - Bonne vieille avant-garde ! - Compte-rendu

Beaucoup de têtes chenues de survivants de feu le « Domaine musical » fondé par Pierre Boulez dans les années 60, salle Pleyel ce 1er juin, pour l’inauguration du festival de l’Ircam « ManiFeste-2012 » : décidément, l’avant-garde prend de la bouteille à l’instar du héros de la soirée le compositeur Philippe Manoury, 60 ans, dont on créait le Concerto pour piano, orchestre et électronique en temps réel, Echo-Daimonon, entre deux pièces symphoniques de György Ligeti Atmosphères et Lontano qui firent date lors de leur création au Festival de Donaueschingen respectivement en 1961 et 1967.

Pas de rupture donc, car il y a des lustres maintenant que dans les chaudrons de l’Ircam (créé en 1978), puis dans les salles de concerts, techniciens et compositeurs s’ingénient à apprivoiser la transformation des sons produits par les instruments acoustiques, histoire d’ajouter à ces derniers une dimension supplémentaire grâce à une batterie de hauts parleurs où tournent les sons mixés. Ainsi naquit le justement fameux Répons de Boulez : car le vieux mythe de Faust a la vie dure dans le monde musical !

Mais pas de mise en scène guidée par la fée technologie pour Echo-Daimonon au titre pourtant si boulézien, tout juste quelques micros à vocation indéterminée, radio et ordinateurs mêlés. L’Orchestre de Paris très motivé, le chef allemand Ingo Metzmacher (photo), à la fois précis et sensible, comme le piano du fantastique Jean Frédéric Neuburger sont à leur place habituelle comme dans un vieux concerto de Mozart : ainsi l’avant-garde se dissout-elle peu à peu dans la tradition ! L’essentiel est ailleurs : qu’apporte le jeu de filtres et de redistribution des sons du piano retravaillés et retransmis en direct ?

Pas toujours en vérité, car à plusieurs reprises, ils sont utilisés, après coup, comme une résonance, un écho dit le titre, sorte de cadence de luxe offerte au pianiste qui peut se tourner les pouces… pendant quelques secondes. Mon oreille est sans doute en cause, mais que voulez-vous, je fais encore la différence entre une bonne viande fraîche et goûteuse et une boîte de corned-beef pour Marines en mission lointaine, et il y a à l’évidence une déperdition du grain et de la saveur des sons retravaillés en dépit de toute l’ingéniosité de Julien Aléonard, l’ingénieur du son, et de Thomas Goepfer, le réalisateur informatique.

Alors, écoutons la musique. Philippe Manoury a toujours entretenu un rapport privilégié avec le clavier et l’orchestre n’a pas non plus de secret pour lui. Une fois passée un début assez conventionnel, il se libère et tout le monde le suit dans l’orchestre et au piano. Ainsi Jean Frédéric Neuburger s’ébroue-t-il avec bonheur dans une virtuosité de bon aloi sans excès de modernisme agressif. Tout cela est digéré, intégré, j’allais écrire « classique » sans vouloir offenser quiconque.

Ingo Metzmacher n’est pas un chef pour le contemporain, c’est un musicien. Ce qu’il prouve en enchaînant avec une poésie infinie le grandiose Adagio de la 10ème Symphonie inachevée de Mahler directement à l’intemporel Lontano de Ligeti. Les musiciens planent. Le public aussi sans trop vouloir se l’avouer… Lui rappellera-t-on que Boulez soi-même a magnifiquement dirigé ce chef-d’œuvre absolu ?

Jacques Doucelin

Paris, Salle Pleyel, 1er juin 2012
(Concert retransmis sur France Musique le lundi 4 juin à 20h)

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Photo : Anja Frers
 

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