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​Otages de Sebastian Rivas en création mondiale à Lyon (Festival Rebattre les cartes /Opéra de Lyon) – Langsam, Sylvie, langsam… - Compte-rendu

 
Donné en première mondiale au Théâtre de la Croix-Rousse ce dimanche dans le cadre du Festival de l’Opéra de Lyon – ainsi que de la « Biennale des Musiques Exploratoires » – le nouvel opéra du Franco-argentin Sebastian Rivas revendique ouvertement une filiation avec Wozzeck : pour la forme, quinze scènes réparties en trois actes, et pour le fond, un plaidoyer en faveur de Wie arme Leute. Mais là où le chef-d’œuvre d’Alban Berg réussit à dire beaucoup de choses en une heure trente, Otages, d’après un texte de Nina Bouraoui, en dit moins en une heure cinq minutes de musique (la durée du spectacle est d’ailleurs passée de 90 minutes à 73 puis 66 minutes). Le compositeur aurait-il suivi le conseil initial du Capitaine, qui demande à Wozzeck d’aller lentement pour le raser ?
 

© Jean-Louis Fernandez

Après la réussite d’Aliados, opéra pour cinq personnages et une dizaine d’instruments, créé en 2013 à Gennevilliers et présenté à Nancy en 2015, on espérait que Rivas voguerait vers un format plus ambitieux, mais il a en fait réduit la voilure, pour ce qui est essentiellement le monologue de Sylvie Meyer entrecoupé de quelques brèves interventions de « l’Homme ». Pendant cette heure que dure l’opéra, l’action se limite à très peu de chose, et il y a même ellipse sur la péripétie (le passage à l’acte de l’héroïne). Contrairement à Wozzeck, qui utilise un couteau pour tuer non ses bourreaux mais sa compagne Marie, Sylvie Meier se sert d’un couteau pour menacer son patron et le séquestrer sans peut-être aller jusqu’à l’assassiner : une vidéo indique qu’elle l’a ligoté et bâillonné, mais la principale intéressée ne le dit pas.

Surtout, dans le mode de déclamation qu’invente Sebastian Rivas, le chanté n’occupe qu’une partie modeste, supérieure ou égale, voire inférieure au parlé. On le regrette car, sans tomber dans l’extrême inverse, d’un vérisme voulant qu’on fasse chanter « Passez-moi le sel, s’il vous plaît », il est difficile de se résigner à ce que soient uniquement chantés les propos faisant intervenir des affects hors-normes. Pourquoi refuser à la voix ce que l’on autorise aux instruments ? Par chance, le discours musical ne s’interrompt pas quand les chanteurs se bornent à parler, mais il est dommage que même des passages désignés dans le livret comme des « airs » soient en fait déclamés en mélodrame, la partition destinées aux neuf instrumentistes étant beaucoup plus riche et variée que ce qui est demandé aux voix.
 

© Jean-Louis Fernandez

On le regrette d’autant plus que le spectacle, lui, porte fort bien le livret que le compositeur a tiré du texte de Nina Bouraoui. Richard Brunel a su tirer le meilleur de ce faux monologue, en démultipliant les lieux grâce aux images vidéo : si le décor se limite à quelques espaces de bureau d’une impersonnalité glaçante, les projections favorisent les gros plans sur les visages ou les objets emblématiques (le fameux couteau) ou ouvrent le cadre sur le monde extérieur. La soprano allemande Nicola Beller Carbone interprète Sylvie Meyer avec une grande expressivité, et même si elle réorienté son répertoire vers des rôles moins exigeants vocalement, elle aurait certainement pu chanter bien davantage, d’autant qu’elle est sonorisée.
Ivan Ludlow incarne la masculinité sous tous ses avatars – le mari qui délaisse le foyer conjugal, l’employeur haïssable, le chanteur de variété Alain Barrière, ou l’inspecteur de police ; ses quelques interventions chantées nous rappelle qu’il fut notamment le Mari dans Les Mamelles de Tirésias à l’Opéra-Comique en 2011. Les deux chanteurs sont soutenus d’un bout à l’autre par les membres de l’ensemble instrumental (toutes des deux femmes, pour incarner à un moment les ouvrières de l’usine où travaille Sylvie Meyer) dirigé par Rut Schereiner, ensemble où l’accordéon et les percussions se marient aux cordes et aux vents.

Laurent Bury

Sebastian Rivas : Otages (création mondiale) – Lyon,  Théâtre de la Croix-Rousse, 17 mars ; prochaines représentations les 19, 21, 22 & 23 mars 2024 // www.opera-lyon.com/fr/programmation/saison-2023-2024/opera/otages

 
© Jean-Louis Fernandez
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