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​Macbeth Underworld de Pascal Dusapin à l’Opéra-Comique – C’est l’éternel remords dans l’éternelle nuit – Compte-rendu

Depuis sa création en septembre 2019 à Bruxelles, on attendait non sans impatience l’arrivée à Paris de ce Macbeth Underworld, commandé conjointement à Pascal Dusapin par le Théâtre de la Monnaie et l’Opéra-Comique. Pendant ces quatre années, l’œuvre n’a rien perdu de son impact, ni la production de sa force. Entre-temps, le public parisien a tout récemment pu admirer à Bastille le travail de Thomas Jolly sur le Roméo et Juliette de Gounod, et cette autre réussite confirme si besoin était les affinités du metteur en scène avec l’univers shakespearien.
 

Macbeth (Jarrett Ott), Rachel Masclet (L'Enfant) © Stefan Brion

Voilà en effet un homme de théâtre qui n’a pas besoin de s’enfoncer dans la matière triviale de notre quotidien pour créer un spectacle puissant. Tout en restant proche du drame élisabéthain (de très nombreux vers de Shakespeare y sont repris mot pour mot), le librettiste Frédéric Boyer sait aussi s’en éloigner pour proposer nécessairement autre chose, après Piave pour Verdi : ce Macbeth-ci se déroule au pays des morts, et Banquo d’emblée assassiné – poignard planté dans la plaie sanglante de son dos – incarne tous les personnages nécessaires, puisque la distribution se réduit au couple criminel, aux sorcières, au portier et à un Enfant qui est à la fois celui que Lady Macbeth n’a jamais eu (mais qu’elle aurait tué de ses mains s’il l’avait fallu, elle s’en vante) et celui de la scène des apparitions qui ouvre l’acte IV dans le texte original.
 

Hiroshi Matsui (Ghost) & Jarrett Ott (Macbeth) © Stefan Brion

Pour peu que l’on soit un peu familier de l’œuvre de Shakespeare, l’action conserve sa lisibilité et se déroule dans l’ordre chronologique des événements. Le décor à transformation de Bruno de Lavenère est d’une beauté majestueuse, les superbes costumes de Sylvette Dequest, jouant sur le blanc et le rouge, mêlent Japon et Moyen Âge occidental, les lumières d’Antoine Travert sculptent à merveille les ténèbres, et la mise en scène de Thomas Jolly multiplie les tableaux envoûtants comme un moderne peintre symboliste.

Si la production n’a pas changé sur le plan visuel, tous les interprètes sont en revanche nouveaux par rapport à l’équipe de la création bruxelloise : tant mieux, si cela permet à l’œuvre de se diffuser davantage, d’autres artistes s’étant approprié la partition. Ayant déjà derrière lui une longue carrière de compositeur d’opéra, Pascal Dusapin n’a plus à démontrer sa maîtrise du genre, qui éclate ici de la plus belle manière, dans une écriture d’aujourd’hui qui, chose rare dans la création, s’intéresse autant aux voix qu’à l’orchestre, sans exiger des chanteurs des acrobaties inhumaines.
 

Franck Ollu © Jean-Jacques Ollu

Succédant à Alain Altinoglu, Franck Ollu peut s’appuyer sur une solide expérience de l’opéra contemporain et sur les deux premières de Dusapin qu’il a dirigées (Penthesilea, Passion), pour conférer à Macbeth Underworld toute son efficacité dramatique, en en soulignant les contrastes et le raffinement. L’Opéra de Lyon ne faisait pas initialement partie des coproducteurs, mais a pour l’occasion prêté son orchestre dont on connaît la qualité, tandis que les pupitres féminins du chœur accentus mêlent leurs voix dans les inquiétantes interventions des sorcières.
 

Katarina Bradić (Lady Macbeth) © Stefan Brion

Des solistes d’abord prévus à l’Opéra-Comique en 2020 n’ont « survécu » que l’Enfant, interprété par Rachel Masclet, membre de la Maîtrise Populaire, qui s’invente une voix fixe, à la Yniold, et Katarina Bradić en Lady Macbeth. Bien qu’annoncée souffrante avant le lever du rideau, la contralto serbe n’en fait pas moins forte impression, et semble même plus à l’aise dans la tessiture que ne l’était Magdalena Kožená à la création. Les trois Weird Sisters s’expriment le plus souvent ensemble, et l’on ne sait s’il faut en attribuer les suraigus à Mélanie Boisvert ou à Maria Carla Pino Cury, le trio étant complété par la mezzo Melissa Zgouridi. Après son apparition en Hécate dans le prologue parlé, John Graham Hall campe un portier percutant. Hiroshi Matsui possède un timbre aux graves magistraux, mais pourrait encore progresser dans sa prononciation de l’anglais. Quant à Jarrett Ott (photo), s’il n’a pas le jeu expressionniste de Georg Nigl, créateur du rôle, il n’en est pas moins un admirable Macbeth, la beauté de sa voix rendant plus saisissants encore les tourments de l’anti-héros shakespearien.

 
Laurent Bury

Pascal Dusapin : Macbeth Underworld (création française) – Paris, Opéra-Comique, 6 novembre ;  prochaines représentations les 8, 10 et 12 novembre 2023 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/macbeth-underworld-2023
 
Photo © Stefan Brion

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