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Luisa Miller à l’Opéra de Nantes – Heurs et malheurs de Louise – Compte-rendu

 

 
Luisa Miller est un opéra qui n’a pas de chance : créé en 1849, il pâtit de l’ombre projetée par la trilogie de chefs-d’œuvre avec laquelle Verdi enchaîna, et n’est donc guère joué hors d’Italie. C’est pourtant une fort belle réussite, au même titre que l’également rare Stiffelio qui lui succéda immédiatement avant Rigoletto. L’Opéra de Paris avait daigné l’inscrire à son répertoire en 1983, et ne l’a repris qu’en 2008 et 2011. On se réjouissait donc de voir Rennes et Angers Nantes Opéra le programmer, en coproduction avec le Theater Erfurt. Hélas, la série de représentations prévue a été victime du mouvement de protestation contre la réforme des retraites : Concertclassic devait rendre compte de la soirée rennaise du 23 mars, qui fut purement et simplement annulée ; un rattrapage aurait dû être possible à Nantes ce 13 mars, dernière date à l’affiche.

Malheureusement, si cette représentation a bien été maintenue, c’est sous une forme assez simplifiée. Et l’on mesure, en ces moments-là, toute l’importance de ceux qu’on ne voit jamais sur le plateau : le décor est réduit au seul mur du fond et ne change pas une seule fois, la lumière est réglée une fois pour toutes en pleins feux sur le plateau comme dans la salle, les accessoires sont presque tous absents, et les chanteurs doivent se passer de leurs perruques. Dans ces conditions, il est bien difficile de juger la mise en scène de Guy Montavon, à qui l’on doit justement une superbe production de Stiffelio (disponible en DVD chez C Major). En l’état, on assiste à un combat des anciens et des modernes, le comte Walter arborant – à en croire les photos du spectacle – une perruque poudrée et symbolisant l’Ancien Régime, auquel s’apparentent aussi Frederika et Wurm, tandis que Rodolfo et Luisa, d’abord vêtus comme dans les années 1840, entrent résolument dans la modernité vestimentaire dès le deuxième tableau, le héros ayant offert à sa bien-aimée une robe courte et imprimée de motifs soleil qui, à défaut d’être très flatteuse pour la silhouette, la projette d’un coup vers notre époque.
 

© DPerrin
 
Dans la fosse, c’est aussi une version « allégée » qu’interprètent les instrumentistes, heureusement en nombre suffisant pour que la partition reste jouable (avant le lever du rideau, Alain Surrans annonce la présence d’un pianiste, mais son renfort ne sera finalement pas nécessaire). Ce dégraissage éclair est surtout sensible dans l’ouverture, où les musiciens sont à nu, et l’on remercie chaleureusement les membres non grévistes de l’Orchestre National des Pays de la Loire d’avoir rendu cette soirée possible, sous la direction ardente mais précise de Pietro Mianiti.
 

Pietro Mianati © DR
 
Sur scène, les solistes engagés pour l’occasion sont en grande majorité originaires d’Italie, et cela s’entend, à leur aisance dans la langue comme à leur générosité toute méditerranéenne. Dans le rôle-titre, qui exige à la fois maîtrise de la colorature et ampleur dramatique (les héroïnes du Trouvère et de Traviata viendront très peu après), Marta Torbidoni est une véritable révélation, pour son premier engagement dans notre pays : l’actrice est sensible, et la soprano possède en effet la virtuosité indispensable et son timbre, bien que riche, conserve la fraîcheur nécessaire pour ne pas transformer la jeune Luisa en matrone. Même si le rôle de Miller n’est pas aussi développé que d’autres pères verdiens, Federico Longhi a toute la puissance et les couleurs attendues des barytons dans ce répertoire ; il est l’autre grand gagnant de la soirée.

A l’applaudimètre, ils sont rejoints par le Wurm d’Alessio Cacciamani, dont la noirceur vocale sied idéalement à ce personnage de traître, tandis que l’autre basse, Cristian Saitta, s’acquitte aussi avec les honneurs des différentes interventions du comte Walter. Bien qu’il s’amincisse un peu dans les notes les plus aiguës, le timbre de Gianluca Terranova convient à Rodolfo, et le ténor est plein d’une appréciable vaillance. Complétant la distribution, la mezzo française Lucie Roche confirme tous les espoirs qu’elle a suscités jusqu’ici, et l’on souhaite que lui soit bientôt confiés des personnages plus développés. Peut-être galvanisés par les circonstances particulières de cette ultime représentation, tous les artistes donnent le maximum, y compris le chœur maison (préparé par Xavier Ribes) tout de noir vêtu et animé d’une belle vigueur.
 
Laurent Bury
 

Verdi : Luisa Miller – Nantes, Théâtre Graslin, 13 avril 2023 ; dernière représentation (première le 10 mars à Angers) // www.angers-nantes-opera.com/luisa-miller
 

Photo © DPerrin

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