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​L’Enfant et les sortilèges par les élèves du CNSMDP – Maman partout et nulle part – Compte-rendu

 
Chaque printemps, les élèves du Conservatoire National Supérieur de Paris présentent un spectacle lyrique, pour mieux se préparer à ce qui, on l’espère, deviendra leur quotidien. Cette année, pour des contingences purement matérielles – salle indisponible car en travaux – la production est un peu plus « légère » que ce n’est en général le cas : pas d’orchestre, mais seulement quatre instrumentistes dans un coin de la scène, et une œuvre dont la durée est inférieure à une heure. Mais quelle œuvre !
Ce n’est pas la première fois qu’une troupe de tout jeunes artistes s’empare de L’Enfant et les sortilèges, et l’on se souvient qu’en 1989, l’Atelier de l’Opéra de Lyon l’avait programmé, et avait pour l’occasion commandé à Didier Puntos la réduction pour trois instruments (piano à quatre mains, flûte et violoncelle) que reprend le CNSM, cet arrangement ayant largement fait ses preuves au fil des années. Bien sûr, il est impossible de restituer la palette complète de l’instrumentation ravélienne et ses extraordinaires raffinements, mais les différents timbres réunis n’en produisent pas moins un effet appréciable. (1) Deux distributions alternent pour les représentations, et l’on peut supposer que la seconde tirera aussi bien son épingle du jeu que la première, entendue le 7 mars.
 

© Ferrante Ferranti 

Autre exemple de production interprétée par de jeunes artistes, celle qu’avait présentée en 2015 l’Opéra Junior de Montpellier, dans une mise en scène de Sandra Pocceschi et Giacomo Strada, qui remettent justement leur ouvrage sur le métier dix ans après pour cette version parisienne. Les deux complices situent l’action de nos jours – l’enfant porte jean et sweat à capuche – et ont décidé de se dispenser de tout costumes animaliers ou évoquant les objets déchirés par le héros. Dès la première protestation, celle du Fauteuil et de la Bergère, on comprend que les différentes « victimes » de l’Enfant prendront en fait l’allure de Maman, quel que soit le sexe des interprètes (jupe et fausse poitrine pour les messieurs). Pour l’Arithmétique, les Chiffres deviennent des doubles du héros, et dans le jardin, des tenues uniformément noires renvoient à l’univers nocturne. La mezzo qui chantait le rôle de la mère étant encore Libellule dans les derniers instants du spectacle, Maman ne réapparaît pas, et l’Enfant, qui s’est efforcé de reconstruire le décor qu’il avait d’abord détruit, conquiert une certaine autonomie, et lorsqu’il chante son ultime « Maman », c’est devant le tableau noire où ce mot répété a remplacé les formules mathématiques. Cette vision ne manque pas de pertinence, mais mieux vaut évidemment connaître l’œuvre au préalable, car les différents personnages n’y sont pas très reconnaissables.
 

© Ferrante Ferranti

L’œuvre permet aux jeunes chanteurs de se mettre en valeur – enfin, presque à tous, car de manière un peu paradoxale, l’Enfant n’a guère d’occasions de briller, et si Flore Royer ne se ménage pas sur le plan théâtral, on attendra d’autres prestations pour véritablement évaluer ses qualités vocales. Anne-Laure Hulin cumule les rôles virtuoses, le principal étant bien sûr le Feu, mais on peut se demander si la colorature restera son terrain d’élection. Marie Ranvier campe une jolie Princesse, plus à l’aise dans la tristesse des derniers instants que dans la première partie de son intervention, qu’on voudrait plus caressante. Les deux mezzos possèdent des timbres plus immédiatement séduisants, qu’il s’agisse de Madeleine Bazola-Minori, superbe Libellule, ou de Margaux Loire, Ecureuil chargé d’émotion. La France est avare en ténors, mais de Madagascar et du Congo viennent Tsanta Ratianarinaivo, désopilante Arithmétique, et Jean-Gloire Nzola Ntima, charmante Rainette. Paul-Louis Barlet manque un peu de punch en Horloge, mais Félix Merle se révèle prometteur en Fauteuil et en Arbre.

Pour souligner le mérite de ces jeunes artistes, précisons qu’ils n’ont pas de chef pour leur donner leurs départs, les quatre instrumentistes ayant déjà fort à faire avec leur propre partie. Ils ont néanmoins pu profiter en amont de la préparation dispensée par la cheffe de chante Morgane Fauchois-Prado, par l’auteur de la réduction, Didier Puntos lui-même, et par tous les enseignants de l’équipe pédagogique du CNSMDP.
 
Laurent Bury
 

(1) La partie instrumentale était tenue par Alexane Faye (flûte) ; Maxime Grizard (violoncelle) ; Flore-Elise Capelier + Ayano Kamei (piano à quatre mains), une équipe qui alterne avec celle formée de Maël Metzger (flûte), Alexandre Frochot (violoncelle) et Xunhui Wang + Takako Nishikawa (quatre mains)
 
Ravel : L’Enfant et les sortilèges (version pour piano à quatre mains, flûte et violoncelle, de Didier Puntos) – Paris, CNSMDP, 7 mars ; jusqu’au 12 mars 2024 ; retransmission en direct le vendredi 8 mars // www.conservatoiredeparis.fr/fr/saison-20232024/lenfant-et-les-sortileges

Photo © Ferrante Ferranti

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