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Le Vaisseau fantôme sous la direction de François-Xavier Roth au théâtre des Champs-Elysées – Un fantôme en pleine santé – Compte-rendu

La revoilà donc, cette version mise en espace qui fit grand bruit au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, le 10 avril dernier et que mène avec une phénoménale énergie François-Xavier Roth, cette fois avec son orchestre les Siècles, sur instruments d’époque, et non plus avec le Gürzenich Orchester Köln, sur lequel il a aussi la haute main, mais avec une distribution pratiquement inchangée.
 

James Rutherford © Werner Kmetitisch

Et l’efficace sobriété qu’implique ce type de jeu n’est que profitable à l’œuvre, si violente et expressive que tout décor ou travail scénique intensif crée parfois une redondance avec l’énormité du discours musical. Là, Roth, dont on sait l’extrême vitalité et le volontarisme de la baguette, peut se lancer à bride abattue avec un orchestre dont il dit qu’il n’est pas si nombreux mais dont on a l’impression qu’il est le double, impression sans doute accrue par l’acoustique du TCE et le fait que l’orchestre soit sur scène et non en fosse.

Soirée foudroyante donc, même si l’ouverture, dirigée d’une battue de fer, donnait un peu trop l’impression que le vent soufflait en mesure, et dont quelques accrocs dans les cors renforçaient le côté un rien acide. Mais dans cette direction et cette vision où tout se déroulait de façon inéluctable, sans les grands soubresauts du romantisme, qui auraient gonflé les voiles, tout s’est révélé plus subtil qu’il n’y paraissait au début.
Menés par Roth avec une sûreté sans faille jusqu’à son déroulement inéluctable, l’orchestre en folie, et les magnifiques chœurs de Cologne en état d’ivresse, astucieusement déployés sur le proscenium  – on se souviendra longtemps de la scène où il hèlent l’équipage fantôme et prennent peur – ont brossé l’histoire de façon haletante. Tandis que les chanteurs faisaient assaut de décibels et déployaient un potentiel dramatique fascinant, dans l’étroit espace qui leur était réservé.
 

Ingela Brimberg © Malin Arnesson
 
Certes, et il n’en était peut-être pas ainsi au Grand Théâtre de Provence, James Rutherford en Hollandais a déçu : une présence forte, même dans la plus grande immobilité, ce qui est souvent son cas, une densité expressive  incontestable, mais un phrasé peu dessiné, avec une courbe musicale plus esquissée que fortement marquée, comme un grand tapis aux couleurs sombres, mais dont les motifs, les notes n’étaient que suggérés. Beau timbre au demeurant, et qui se fondait ensuite admirablement avec la voix lumineuse, ardente, vibrante d’une Senta à toute épreuve, la grande wagnérienne suédoise Ingela Brimberg. Car avec sa Ballade, pivot de l’œuvre aux dires de Wagner lui-même, tout s’est éclairé, est devenu parlant, grâce à sa réserve poignante où folie inspirée et pudeur de jeune fille se mêlaient intimement. Superbe chanteuse, superbe actrice, richement soutenue par un magnifique Daland, à la voix claire et dure, comme il convient, celle de Kark-Heinz Lehner, à l’envol mélodieux et touchant du ténor Maximilian Schmitt, proche d’un Don Ottavio délaissé, et des solides Dimitry Ivanchey en pilote et Dalia Schaechter en Mary. Tempête rédemptrice que cette course hors de l’abîme, coupant le souffle, et saluée par une tempête d’applaudissements.  
 
Jacqueline Thuilleux

Wagner : Le Vaisseau fantôme (version de concert) Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 15 mai 2023.  
 
Photo © Holger Talinski

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