Journal

Le Vaisseau Fantôme à l’Opéra national du Rhin – Sous le poids de l’irréparable - Compte rendu

Début d’année wagnérien pour l’Opéra national du Rhin avec Le Vaisseau Fantôme confié au metteur en scène allemand Nicolas Brieger, une production qui permet de retrouver dans la fosse le remarquable directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja, dont l’intérêt pour l’univers lyrique réjouit les mélomanes alsaciens.

Dans la pénombre une adolescente blonde évolue près de ce qui ressemble à un amas de corps inanimés ou agonisants : une action scénique - pour le moins… laborieuse - accompagne l’ouverture du Vaisseau et, à la toute fin de celle-ci, apparaît Senta devenue femme, proprement tétanisée par la prise de conscience d’un crime irréparable. C’est en tout cas l’interprétation que l’on donnera a posteriori – comme souvent dans ce spectacle - de l’entrée en matière d’un Vaisseau où la surcharge de références aux horreurs du nazisme le dispute au manque de lisibilité.

On comprend cependant vite que la dimension romantique n’intéresse aucunement Nicolas Brieger. Il fait de la compassion de Senta envers le Hollandais « le point déterminant de l’opéra ». « L’irréparable fait partie de notre héritage socioculturel, un héritage à l’égard duquel même les générations suivantes sont obligées de se positionner.(…), déclare-t-il. Périodiquement - « tous les sept ans » - un événement touche la conscience de tous et rejette sur la terre ferme de notre vie réelle la faute ancienne depuis l’océan du refoulé, du passé et de l’oubli. » Compassion qui conduira Senta à se sacrifier in fine dans une cabine vitrée-chambre à gaz taguée d’un agressif Raten raus. Une inscription apparue pendant le chœur des marins au début du 3, moment-clé du spectacle où l’on trouve à la fois chopes de bière très Oktoberfest, bras tendus et, dans la fameuse cabine, scène de transformation des marins de l’équipage fantôme…en rats !
Au bout du compte, même si les décors de Raimund Bauer et les vidéos de Philipp Haupt sont plutôt réussis, le propos de Nicolas Brieger, qui charge beaucoup trop la barque, s’enlise et déçoit – ce d’autant plus quand on a en mémoire le passionnant Vaisseau mis en scène à l’automne dernier par Alexander Schulin dans le cadre du Wagner Geneva Festival. Et ne parlons pas de tous ces duos où les protagonistes sont instamment priés de ne jamais se regarder – ce serait si “facile“.

Reste la partie musicale et, sur ce plan, les motifs de satisfaction sont nombreux, à commencer par la baguette de Marko Letonja. Passée la mise en jambes de l’ouverture, sa conception séduit par sa finesse et sa fluidité. Rien de tonitruant, d’inutilement asséné. Sens de la respiration, de la ponctuation – quelle complicité avec le plateau ! - variété des coloris : sa direction inscrit le Vaisseau dans la descendance de Weber auquel Wagner doit tant. Précieuse consolation face à la pesanteur de la conception de Nicolas Brieger …

Côté voix, Jason Howard (qui incarnait Wotan dans l’inoubliable Ring de David McVicar à Strasbourg – reverra-t-on un jour cette production ? …) apparaît sous-dimensionné pour le Hollandais et bien fatigué vocalement lors d’une première en matinée ; c’est le gros point faible de la distribution. On applaudit en revanche sans réserve la Senta de Ricarda Merbeth (photo), elle bouleverse avec une voix remarquable de longueur, de richesse et d’homogénéité. Kristinn Sigmundsson (Daland) se fait pardonner ses défauts d’intonation par sa prestance. En Mary, Eve-Maud Hubeaux confirme sa place parmi les meilleures mezzos françaises de la nouvelle génération. Mais s’il faut parler d’une révélation à propos de ce Vaisseau strasbourgeois, c’est bien le ténor belge Thomas Blondelle qui nous l’offre avec un Erik de premier ordre. Voix bien projetée, lumineuse, sans acidité, justesse de l’intonation, magnifique présence scénique: voilà un artiste à suivre de très près ! Un coup de chapeau enfin à Sandrine Abello, à qui l’on doit la préparation des Chœurs de l’Opéra national du Rhin, toujours à la hauteur d’une partition qui les sollicite énormément.

Avis aux curieux : c’est avec Le Roi Arthus d’Ernest Chausson, mis en scène par Keith Warner et dirigé par Jacques Lacombe, que se poursuivra la saison de l’Opéra du Rhin (sept représentations du 14 mars au 13 avril).
Alain Cochard

Wagner : Le Vaisseau Fantôme – Strasbourg, Opéra, 26 janvier, prochaines représentations les 28 janvier, 1er, 3 et 8 février, puis à Mulhouse (La Filature), les 20 et 22 février 2014.
http://www.concertclassic.com/concert/le-vaisseau-fantome-mis-en-scene-p...

Photo © Alain Kaiser

Partager par emailImprimer

Derniers articles