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​Le Forum en folie de Stephen Sondheim au Lido – Nom d’un Petibonum ! – Compte-rendu

Après avoir inauguré son règne au Lido avec Cabaret, Jean-Luc Choplin poursuit sa trajectoire en choisissant cette fois un titre infiniment moins connu. Même si Le Forum en folie a également fait l’objet d’une adaptation cinématographique, avec entre autres Buster Keaton dans sa dernière apparition filmique, cette comédie musicale créée à Broadway en 1962 n’occupe pas la même place dans l’imaginaire du public. On n’y trouve certes pas les (discrets) prolongements historiques de Cabaret, situé dans l’Allemagne nazie, mais par sa fantaisie débridée, Le Forum se prête bien à l’ambiance des fêtes de fin d’année.
 

© Julien Benhamou

Un succès de Broadway enfin à Paris

Pour le premier spectacle dont il concevait à la fois le livret et la musique (jusque-là, notamment pour West Side Story, il avait été sollicité seulement en tant que parolier), Stephen Sondheim avait décidé de mélanger les intrigues de plusieurs pièces de Plaute, dont Miles Gloriosus, qui donne ici son nom à un des personnages, et où apparaît l’ancêtre du Capitan de la commedia dell’arte et du Matamore repris par Corneille dans son Illusion comique. Sur le conseil avisé de Jerome Robbins, Sondheim y ajouta un nouvel air introductif, « Comedy Tonight », qui annonçait clairement la tonalité joyeuse du spectacle, dont Broadway présenta près d’un millier de représentations, en parallèle avec son transfert à Londres dès 1963. Dans le monde anglophone, A Funny Thing Happened on the Way to the Forum (titre de la version originale) a fait l’objet de nombreuses reprises, mais il semble bien que la création française ait dû attendre 2023.
 

© Julien Benhamou

Loufoque jusqu’à l’absurde

Pour l’occasion, a été assemblée une équipe essentiellement venue d’outre-Manche. La mise en scène est confiée à l’Irlandais Cal McCrystal, qui respecte les différentes composantes de la comédie musicale et en assume le côté loufoque jusqu’à l’absurde (Sondheim a manifestement pris plaisir à entasser les coïncidences et les usurpations d’identité, avec une fin heureuse typique des dénouements de mélodrame où un père retrouve enfin ses deux enfants longtemps disparus). L’annonce préalable, qui invite à éteindre notre telephonum et nous souhaite un bonum spectaclum, laisse craindre un abus de jeux de mots pseudo-latins, mais le texte du livret – en VO surtitrée – est d’une tout autre tenue. Lido oblige, l’élément spectaculaire est loin d’être négligé : même s’il dure à peine quelques minutes, le tableau qui exploite pleinement la machinerie du lieu éblouit les spectateurs par la magie de ses couleurs et de ses jeux d’eau. Pour les trois maisons imposées par le décor, Tim Hatley propose trois mini-colisées tournants, tandis que les costumes signés Takis se montrent particulièrement inventifs pour les pensionnaires du lupanar de Marcus Lycus, également gâtées par les chorégraphies de Carrie-Anne Ingrouille, Gareth Valentine dirigeant l’orchestre en familier de ce répertoire. 
 

© Julien Benhamou

Une surprise nommée Neima Naouri

Les artistes présents sur le plateau sont en grande majorité anglophones. Dans le rôle central de l’esclave Pseudolus, le comique britannique Rufus Hound porte le spectacle sur ses épaules, par sa présence quasi-constante et par l’énergie dont il déborde. On savoure aussi les prestations de Josh St Clair, jeune premier délicieusement benêt, ou de John Owen-Jones en Miles Gloriosus admirable de fatuité. Mais la grande surprise est de trouver dans cette troupe deux artistes françaises, et non des moindres. On a connu Valérie Gabail chanteuse baroque (au début des années 2000, elle participa régulièrement aux productions de l’Opéra de Paris, incarnant l’Amour dans Le Couronnement de Poppée, Platée ou Les Indes galantes), et l’on est tout étonné de la retrouver – physiquement méconnaissable car transformée en hideuse matrone – dans un répertoire bien différent, où ses capacités vocales sont exploitées malgré la sonorisation, puisque Domina est ici autorisée à vocaliser allègrement. L’autre surprise, c’est Neima Naouri, fille de Laurent Naouri et de Natalie Dessay ; bon sang ne sachant mentir, la chanteuse est irréprochable, et « Lovely » lui convient à merveille. Ce qui ne gâte rien, toutes deux s’expriment en anglais avec une suprême aisance.

Laurent Bury

Stephen Sondheim, Le Forum en folie - Lido2Paris, depuis le 1er décembre 2023 et jusqu’au 4 février 2024 // lido2paris.com/fr/
 
Photo © Julien Benhamou

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