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Le Comte Ory à l’Opéra de Lyon - Au Comte, on rit

La redécouverte du Comte Ory (1828) en tant, non pas qu’ « opérette » graveleuse, mais que partition transgressive et novatrice n’est pas si ancienne, et l’Opéra de Lyon y a joué un rôle de premier plan, lorsqu’en 1988 son directeur musical John Eliot Gardiner (qu’on n’attendait guère dans ce répertoire) en a donné une version philologiquement exacte, d’une précision qui n’excluait pas la verve - l’enregistrement qui en découla, sans être irréprochable, tient encore la tête d’une discographie assez pauvre. Un quart de siècle après, Lyon (en association avec La Scala) remet ça : gageons qu’on se souviendra de cette nouvelle production, d’un irrésistible brio.
 
La réussite est avant tout scénique : après des Puritains décharnés à Bastille, Laurent Pelly semble avoir retrouvé un espace et un univers dramatiques en accord avec ses préférences (comiques, françaises, plutôt intimistes). Bien sûr, il transpose l’intrigue à l’époque contemporaine – c’est ce qui se fait de nos jours, n’est-ce pas ? Mais sa transposition, si elle achoppe sur le rendu d’une certaine réalité médiévale (quid du statut de « page », de « duc », de « gouverneur » ?), n’a rien de paresseux. Elle s’appuie d’abord sur un double décor absolument formidable : de précision, concernant le premier acte, qui se déroule dans une MJC plus vraie que nature (avec ses sièges et fleurs en plastique, son panneau de volley, son faux Vasarely, ses portes de sécurité et extincteur, son estrade miteuse et sa signalétique lumineuse, ses habitués arborant doudounes et Tupperware) ; de souplesse concernant le second acte, situé dans un intérieur chabrolien, que nous parcourons au gré de fluides travellings (c’est la scène qui coulisse, nous conduisant du salon à la chambre puis à l’office).
 
L’autre point fort de cette lecture, c’est la finesse de la direction d’acteurs, pensée dans ses moindres détails, exercice auquel Pelly n’avait pu se livrer dans ses « grandes machines » : l’habileté avec laquelle la soprano qui campe Isolier incarne son personnage d’ado (démarche, façon de s’asseoir, de plonger la main dans les poches, de s’adosser au mur) est sidérante et la caractérisation de chacune des fausses pèlerines au cours de la beuverie, souvent longuette, de l’Acte II, tellement drôle que, lors de la première, un spectateur a perturbé la soirée en s’étranglant de rire interminablement. Certes, l’accent est ici mis sur la farce, et le sublime trio final, qui se transforme en explicite partie à trois digne des Chansons d’amour de Christophe Honoré (autre metteur en scène embeded à Lyon, cette année), enfonce peut-être lourdement le clou. Mais ce comique n’est pas dépourvu d’amertume et la figure de gourou qu’incarne Ory à l’Acte I (posture de yogi, barbe à poux) semble suffisamment nocive pour distiller le malaise.
 
Pelly a apparemment pu compter sur de véritables chanteurs-acteurs : on a déjà signalé l’Isolier bluffant (mais un peu léger vocalement, un peu trop soprano) d’Antoinette Dennefeld. Le Comte Ory érotomane de Dmitry Korchak (lui aussi déjà distribué dans Les Puritains) n’est pas en reste, sachant se montrer redoutable sous ses accoutrements grotesques et séduisant à force de rudesse. Il est vrai que la voix est glorieuse, le français (surtout à l’Acte I) impeccable et que seuls les aigus, plus souvent pris en force, par-dessous, que mixés (selon la technique du créateur, Adolphe Nourrit) déparent sa très convaincante incarnation.
 
Mais c’est à la Comtesse de Désirée Rancatore que l’on doit les plus grands moments de folie, et ce dès son entrée, qui la conduit de l’Olympia désarticulée à la nymphomane désinhibée. La voix, amincie dans les suraigus (prodigués sans compter), ne fera pas oublier celle d’Annick Massis (Adèle à l’Opéra-comique, en 2003) ; mais espérons que d’autres scénographes sauront mettre en valeur ce fabuleux potentiel comique ! Les comparses vont du bon (le Gouverneur aux graves solides mais au timbre monochrome de Patrick Bolleire) au simplement correct : pourquoi, encore une fois, comme à Marseille (Jean-François Lapointe en 2012), avoir distribué un baryton dans le rôle de Raimbaud, écrit pour un sonore baryton-basse – ce qui oblige l’élégant Jean-Sébastien Bou à parler durant les trois quarts de son air… ?
 
Quant à la direction de Stefano Montanari (respectant scrupuleusement la partition intégrale, auquel il ajoute même une bizarre coda), elle n’a pas oublié la leçon de Gardiner : en dépit de son look sado-maso, le chef italien familier du baroque (il tient aussi le poste de premier violon de l’Accademia bizantina) affirme une grande sensibilité et une attention de tout instant aux effets chambristes de la partition - on aura noté le violon solo dans la partie centrale de la Cavatine d’Ory ou les ornementations raffinées des bois dans les reprises. Certes, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon joue parfois un peu fort dans les tutti et manque de fini, mais son engagement, comme celui du chœur, contribue à la réussite du spectacle – sans doute le plus réjouissant Comte Ory qu’il nous ait été donné de voir !
 
Olivier Rouvière
 
 
 
Rossini : Le Comte Ory – Lyon, Opéra, 21 février, prochaines représentations les 25, 27 février, 1er, 3 et 5 mars 2014.
http://www.opera-lyon.com

Photo © Nofleth /Opéra de Lyon

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