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L’affaire Makropoulos à l’Opéra Bastille - Immortelle Karita - compte-rendu

opera paris affaire makropoulos 2023
Aussi indestructible que le personnage qu’elle interprète en ce moment sur la scène de l’Opéra Bastille, Karita Mattila semble pouvoir traverser le temps et en repousser les limites. Avant elle, Anja Silja s’était emparée du rôle d’Emila Marty, parvenant à se confondre avec cette figure énigmatique dans plusieurs mises ne scène cousues mains (de Lehnhoff à Braunschweig). Le tour de Karita Mattila est venu et l’on se réjouit de constater combien l’héroïne de L’Affaire Makropoulos lui convient, surtout lorsqu’il s’agit de découvrir son interprétation dans la production aux décors hollywoodiens de Warlikowski (2007). La soprano finlandaise dont la voix donnait quelques signes d’inquiétude lors de sa dernière Herodias (cf. Salomé à la Bastille), se révèle d’une étonnante vitalité et sur toute la tessiture de ce rôle hybride, ni mezzo, ni soprano.
 
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© Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

La technique de Mattila y surmonte les obstacles, la longueur de l’instrument, la fluidité de la ligne et la projection du chant jusqu’aux aigus dardés, emportant tout sur leur passage. Assumant son âge et se prêtant sans complexe aux diverses transformations physiques imposées (tantôt Marilyn, tantôt rousse incendiaire), elle livre une prestation vocale incandescente que souligne un jeu parfois boursoufflé, mais submergé par l’émotion dans un long épilogue quasi cinématographique, qu’elle traverse comme en apesanteur. La distribution triée sur le volet n’est pas en reste : prêt à tout pour séduire cette femme insaisissable Pavel Cernoch est un magnifique Albert Gregor, Johan Reuter un machiavélique Jaroslav Prus, Nicholas Jones (Vitek), Karoly Szemerédy (Dr Kolenaty) et Cyrille Dubois (Janek), sans oublier la Krista pétulante de Ilanah Lobel-Torres apportant chacun à leur manière une pierre à l’édifice warlikowskien.
 

Susanna Mälkki © Jiyang Chen

Malgré plusieurs reprises, le spectacle à la scénographie grandiose, résiste lui aussi au temps, la question de l’immortalité prenant ici tout son sens grâce aux images de stars mythiques broyées par la gloire, fantômes sur pellicule, qui accompagnent le destin de la cantatrice Emilia Marty, âgée de 337 ans. Défilent ainsi sur grand écran, Marilyn Monroe, icône du 7ème art, Norma Desmond sublime déesse de fiction du muet, transcendée par Gloria Swanson dans le Sunset Boulevard de Billy Wilder, ou encore King Kong, utilisé lui aussi par le système et poussé dans ses derniers retranchements, incessant ballet de créatures malheureuses qui perpétue le cycle infernal de la grandeur et de la décadence, résultat d’un monde sans pitié. Saluons une fois encore la direction au geste ample et inspiré de Susanna Mälkki, qui parvient à unifier cette partition ardue, faite d’une myriade de cellules accolées les unes aux autres et où les précieux moments de lyrisme se gorgent de douleur pour mieux s’accorder au drame.

François Lesueur

 

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Leos Janacek L’affaire Makropoulos - Paris, Opéra Bastille, 10 octobre 2023

Photo © Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

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