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La Traviata à l’Opéra Bastille – Ermonela Jaho, singulière et convaincante Violetta - Compte-rendu

Ermonela JAHO, Francesco MELI, Dmitri HVOROSTOVSKY, Dan ETTINGER, Benoît JACQUOT, Sylvain CHAUVELOT
 
Moins d'un an après avoir redonné vie à La Vestale de Spontini sur la scène des Champs-Elysées, Ermonela Jaho que rien n'arrête, débute à la Bastille dans un de ses rôles préférés : Traviata. Qu’elle soit Butterfly, Bolena, Luisa Miller ou Blanche de la Force, la soprano albanaise surprend par la justesse, la musicalité et l'émotion de ses portraits aux profils dramatiques habilement différenciés. Le personnage de Violetta, la femme entretenue, l'amoureuse éperdue, la condamnée au mensonge et à la mort, victime de ses choix, de la société et du destin qui s'acharne contre elle, ne l’effraie pas : au contraire il la stimule. L'immensité des lieux pourrait être un obstacle, elle le contourne, réussissant à projeter sa voix et à dispenser d’innombrables piani là où d'autres sombreraient corps et biens.
 
Fine musicienne, Ermonela Jaho n'en est pas moins une interprète singulière et convaincante, qui se donne sans vraiment compter et qui sait cueillir l'auditeur là où la partition le demande (les vocalises acérées du 1er acte, mi bémol compris, l'expression résignée puis la honte au second, la déchéance enfin au dernier), tout en sachant réserver au public une mort saisissante où l'abandon du chant se joint à celui du corps. Seul petit bémol, une ligne insuffisamment colorée, domaine qui appartient à la seule Ciofi, malgré un indubitable engagement vocal.
 
Le timbre de Francesco Meli n'est pas de ceux que l'on associe immédiatement au rôle d'Alfredo et plus le drame avance, plus on en est persuadé. Le ténor génois, peut-être mal remis de ses Trovatore salzbourgeois, essaie pourtant de bien faire, d'alléger sa lourde voix, de phraser avec une certaine élégance, mais son instrument n'a ni la souplesse, ni la clarté, ni la chaleur de ceux des grands titulaires. Cela est d'autant plus regrettable qu'il est aidé, comme ses collègues, par la direction très vigilante du jeune chef israélien Dan Ettinger, qui obtient de l'orchestre un tapis sonore d'une remarquable  homogénéité.
 
L'absence de Ludovic Tézier (1), programmé dans la nouvelle production de Tosca mise en scène par Pierre Audi en octobre, est cruelle, tant la voix de velours et de miel du baryton français est devenue indispensable au répertoire verdien (comme son récent Don Carlo di Vargas aux côtés de Kaufmann à Munich l'a prouvé). Dmitri Hvorostovsky, excellent Iago avec Alagna il y a peu à Pleyel, ne lui arrive pas à la cheville, Germont à la ligne épaisse, à la voix engoncée et à la présence assez terne, surtout par rapport à sa prestation vénitienne de 2003 avec Ciofi et Maazel. Digne Flora d'Anna Penisi, Douphol (Fabio Previati), Grenvil (Antoine Garcin), D'Obigny (Florian Sempey) corrects, Annina (Cornelia Oncioiu) passée au brou de noix, clone de la servante noire de l'Olympia de Manet, toile qui trône au-dessus du lit de la dévoyée avant qu'il ne soit vendu, complètent la distribution.
 
Peu inspiré par l'univers mortifère de Dumas fils revisité par Piave et Verdi, Benoît Jacquot, auteur d'un bien beau Werther (2), fige le drame sans se l'approprier, laissant à son décorateur Sylvain Chauvelot le champ libre - trop ! - avec ce lit démesuré au 1er acte, cet arbre aux feuilles frissonnantes et cet escalier massif au 2 sur lequel figurants et choristes se retrouvent en rang serré tandis que se trémoussent compulsivement danseurs travestis en sévillannes hystériques et danseuses en toréadors hyper-sexués. Après Miller et son hôpital, Marthaler et son improbable Traviata-Piaf chez les est-allemands, cette version sans vague n'en est pas moins décevante.
 
François Lesueur
 
(1) Germont avec Diana Damrau et Francesco  Demuro en juin et juillet dernier sur la scène de la Bastille.
(2) Vu sur cette scène en 2010 et 2014
 
Verdi : La Traviata – Paris, Opéra Bastille, 17 septembre 2014, prochaines représentations (avec E. Jaho) les 24, 30 sept., 3, 5 et 12 octobre ; (avec Venera Gimadieva) les 26 sept. et 7 oct.

Photo © DR

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