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La Roque d’Anthéron - Compte-rendu : Nuits de Piano

A La Roque d’Anthéron, le piano n’a jamais si bien résonné. Pour sa 27ème édition, le Festival s’est en effet offert une nouvelle conque acoustique de 14 m. de haut sur 28 m. de large. La structure épouse magistralement la scène du Parc du Château de Florans réalisant ainsi une connexion intime entre la nature, les artistes et le public.

Le 11 août dernier, la Nuit Schumann a offert trois visages très contrastés du compositeur. Edna Stern (lire interview ci-contre) ouvre les festivités avec la Fantaisie op 17 et les Etudes Symphoniques op 13. La pianiste au teint diaphane et aux allures de jeune héroïne romantique envisage ces pages fiévreuses dans une douceur et une sensibilité presque déconcertantes. Aux grandes envolées lyriques, elle privilégie un travail tout en retenue sur le timbre et la résonance, prenant au pied de la lettre l’indication « Jusqu’à la limite du silence » dans le 3ème mouvement de la Fantaisie. Tout le contraire de Claire-Marie Le Guay qui sans demander son reste prend le piano à bras le corps pour enchaîner d’un trait les Kreisleriana et le Carnaval. Autoritaire et affirmée, sa vision ne s’embarrasse d’aucune futilité.

Elle trace, dessine des contours impeccables, se permet des audaces de tempi ou de phrasés qu’on ose uniquement dans ces œuvres travaillées et digérées qui vous accompagnent depuis toujours. Cette volonté impérieuse de déclamer et d’imposer, quitte à brusquer, s’avère particulièrement bienvenue dans ces deux cycles foisonnants marqués de l’esprit noir et fantasque de Schumann. Les nuées de papillons de nuit et autres insectes volants qui ont envahi le plateau semblent à peine troubler la pianiste. Arrivée du Japon quelques heures plus tôt, Akiko Yamamoto investit une scène débarassée de ses visiteurs importuns. Les premières mesures du Des Abends révèlent une fraîcheur et une frivolité qui se développera tout au long des Fantasiestücke op 12 et qui prêtent à sourire tant elles correspondent au profil candide et insouciant de la jeune japonaise. Réjouie de son succès, elle revient accompagnée du Quatuor Ebène pour le Quintette en mi bémol majeur op 44. La formation manque de rigueur et de corps mais se rattrape par sa jeunesse et son impétuosité.

Rendez-vous le lendemain pour un récital « pédagogique » d’Hervé Billaut inscrit dans la série « Regards sur une œuvre ». A l’ordre du jour : Ravel et son Tombeau de Couperin. Après avoir joué le Prélude, l’interprète muni d’un micro entreprend son travail didactique en traçant des parallèles avec d’autres œuvres (Ma mère l’Oye, Boléro, Tic-Toc-Choc de Couperin…) ou en émaillant son discours d’extraits de disques. On apprend ainsi que la forlane était une danse légère à mauvaise réputation ou que la cantilène du Rigaudon serait une allusion à la mort de la mère de Ravel. L’exposé comporte certes quelques lacunes musicologiques mais a l’avantage de s’adresser au plus grand nombre et de rendre l’œuvre nettement plus intelligible lors de son exécution finale.

Queue de pie, chevelure soignée et regard perdu, Philippe Giusano apparaît au premier abord comme le prototype du pianiste fragile et romantique. Invité dans un programme Chopin/ Rachmaninov, il faut bien deux préludes (op 45 et op 28 n°15) pour le voir se détendre et s’attaquer aux quatre Ballades de Chopin avec une sérénité toute relative. Mais de la lente et grave introduction de l’Opus 23 à la coda brillante et volcanique de l’Opus 52, il y a ce sens inné du rubato, ces couleurs à foison, une conduite ardente et passionnée, une inspiration en perpétuel renouvellement. Nous tenons ici un très grand interprète de Chopin (il a d’ailleurs remporté le Concours de Varsovie en 1995). La deuxième partie consacrée aux Etudes-Tableaux op 33 et à la Sonate op 36 de Rachmaninov possède tout autant de finesse bien que Giusano n’entretienne pas la même affinité avec le compositeur russe. En bis, retour de Chopin avec deux études (op 10 n°3 et op 25 n°12).

Pour répondre à un piano, quoi de mieux qu’un autre piano ? Le Festival 2007 consacre donc sa nuit du 13 août à cette formation peu coutumière que constitue le duo de pianistes. Claire Désert et Emmanuel Strosser ouvrent le bal avec un arrangement de sept pièces extraites des Mikrokosmos de Bartók. Suivent Trois pièces de Ligeti. La première, Monument, joue sur le rythme et les nuances extrêmes - de pianissimo à fortissimo- et crée une impression de relief, « une illusion spatiale qui confère à la musique un caractère statuaire, immobile, d’où le titre Monument » (Ligeti). La deuxième, Autoportrait, reprend des motifs de Reich, Riley et même Chopin (techniques répétitive, pizzicato, blocage de touche, …). Enfin, la troisième, Bewegung, se veut un crescendo continu qui culmine en choral entre les deux pianos. Le duo Désert/ Strosser fonctionne à merveille dans cette musique articulée/ désarticulée dont les effets requièrent une rigueur implacable et laissent peu de marge à l’interprétation.

Les deux pianistes n’ignorent cependant pas le sens de ce mot et le prouvent aussitôt dans la Sonate pour deux pianos en fa mineur op 34b de Brahms qu’ils exaltent avec un tragique dénué de pathos. Christian Ivaldi et Jean-Claude Pennetier leur succèdent et se lancent avec force et fracas dans trois Danses slaves à quatre mains op 46 et 72 de Dvorák. Ces deux-là se connaissent par cœur. Leur Sonate en ut majeur D. 812 de Schubert souffre bien de quelques imprécisions mais la joie et le partage ne peuvent être plus communicatifs. La troisième partie du concert se joue également à quatre mains avec - en remplacement de Michel Béroff et Jean-Philippe Collard - le duo hongrois Edit Klukon/ Dezsö Ránki.

Leur connivence s’avère simplement stupéfiante. Est-ce parce qu’ils sont mariés à la scène comme à la ville ? L’art du quatre mains touche ici au splendide. Pour commencer, une transcription par l’auteur des Préludes de Liszt. On imagine les heures passées à régler ensemble pareille musique, excessivement virtuose. Leur Grande Sonate D 967 offre une certaine idée de la perfection schubertienne. Les phrases respirent, la pédale ponctue et les traits sont gorgés de grâce. On voudrait s’exclamer : « C’est çà la musique ! ». L’extase se poursuit avec une lecture sensuelle et vaporeuse du Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy, suivie de quelques miniatures intimes extraites des Douze Pièces pour Grands et Petits enfants op 85 de Schumann. Dommage que les Nuits du Piano ne s’éternisent pas jusqu’à l’aube…

Nicolas Nativel

Festival de La Roque d’Anthéron, 11-13 août 2007

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Photo : Sylvain Couzinet-Jacques

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