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« Journées Dauvergne » au Centre de Musique Baroque de Versailles - Christophe Rousset ranime Hercule mourant


« Journées Dauvergne » au Château de Versailles au sein d'une programmation qui réhabilite opportunément cette école française de la fin de l'Ancien Régime et des premiers remous révolutionnaires.

Expédié, il n'y a pas si longtemps encore, en quelques lignes dans la plupart des manuels et dictionnaires. Antoine Dauvergne (1713-1797) ne mérite certes pas ce laconisme. Et c'est le point positif de ces Journées que de nous avoir éclairés sur ce musicien qui fut souvent le contraire d'un petit maître.

Une voie nouvelle à la tragédie lyrique

En exhumant en version de concert cet Hercule mourant (livret de Marmontel) donné à l'Académie Royale en 1761, Christophe Rousset et Les Talens Lyriques, assistés des Chantres du CMBV, ont donc eu la main heureuse. Dauvergne, à 48 ans, est alors dans la plénitude de ses moyens, compositeur reconnu par ses pairs et qui s'apprête à prendre en charge la première société de concerts du temps: le fameux Concert Spirituel (il y restera en fonction jusqu'en 1773).
Au contraire d'autres auteurs qui, tel Mondonville, ciblent le léger et le brillant, Dauvergne revendique ici un style noble et dramatique, en successeur de Rameau. En tout cas, de nombreux contemporains y entendirent des «accents mâles et vigoureux, un ton véritablement pathétique et une aspiration au sublime» dont le XVIIIème siècle cherchait dans le même temps la définition.
Pour autant, à ces louanges, succéda vite la polémique, les sceptiques s'étonnant de sortir de l'ouvrage «sans en retenir un seul air (...) avec une ouverture faible et sans dessin que ne rachetaient pas quelques trop rares traits vifs et dansants».

Aujourd'hui, les choses se sont depuis longtemps décantées et l'ouvrage de Dauvergne marque une date à la fois dans sa carrière musicale et dans l'évolution stylistique du concert parisien. Plus exactement, le compositeur semble y chercher une voie nouvelle à la tragédie lyrique. A l'heure où les genres légers et de divertissement prennent le pas sur la grande tradition dramatique de l'Académie royale, Dauvergne y tente l'expérience d'un «sublime tragique», avec le mérite d'anticiper sur le style des drames de Gluck, précédant, pressentiment qui n'est pas mince, le cours de l'histoire.

Rendre Dauvergne crédible


Venons-en à la lecture de Christophe Rousset qui se soucie toujours du crédible. Privé des atouts de la représentation théâtrale, notre chef-claveciniste ne lâche rien en l'occurrence, trouvant des trésors d'inventivité dans le «suivi» de la ligne de chant de ses interprètes et dans le jeu harmonique de l'orchestre. De ce point de vue, le collectif des Talens Lyriques est une machine parfaitement rodée et huilée, à travers un réseau d'affinités dont peu d'ensembles baroques offrent l'équivalent. Ce faisant, une ligne émotionnelle se dégage, attentive à l'essentiel sans ignorer l'accessoire, et toujours propre à élever ou à ravir l'âme, selon le voeu des Encyclopédistes.

Aussi bien, tout favorise ici le dessein du maître d'oeuvre. A l'orchestre d'abord, comme on vient de l'écrire (la fluidité arcadienne des flûtes et hautbois, l'éclat olympien des cors, trompettes et timbales), au choeur ensuite, superbe d'homogénéité et de ferveur; outre, cerise sur le gâteau lyrique, un plateau de solistes où il n'y a que du bonheur à cueillir, avec une Véronique Gens royale en Déjanire affligée, égarée, un Emiliano Gonzalez Toro hautement plausible dans l'emploi d'Hilus (le fils d'Hercule et de Déjanire) et une Jaël Azzaretti inattaquable dans les seconds rôles. Enfin, mention très bien à Alain Buet, tour à tour Jalousie insidieuse et Jupiter glorieux et performance méritoire du baryton-basse Andrew Foster-William dans le rôle parfois éprouvant d'Hercule. Nonobstant les inévitables critiques émanées du clan des baroqueux tristes, voilà le genre de réveil qui ne peut que servir les causes conjuguées du répertoire des Lumières et du dossier lyrique.

Roger Tellart

Opéra Royal de Versailles, 19 novembre 2011


Site du Centre de Musique Baroque de Versailles : www.cmbv.fr

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Photo : DR

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