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Inauguration de la Saison européenne BnF-Radio France / Elles Women Composers autour d’Hedwige Chrétien – Le trio retrouvé – Compte-rendu

Pour leur troisième saison européenne la Bibliothèque nationale de France et Radio France ont décidé de mettre les compositrices à l’honneur en collaborant avec Elles Women Composers, une association créée et menée avec l’enthousiasme que l’on sait par la violoncelliste Héloïse Luzzati.(1) Enthousiasme auquel s’ajoute un non moins grand discernement artistique : hors de question pour cette infatigable chasseuse de partitions et son équipe de considérer qu’une œuvre de compositrice oubliée est forcément réussie.
 

Hedwige Chrétien (1859-1944) © Wikipedia.org
 
Les pièces qu’Elles Women Composers décide de faire revivre sont le résultat d’un sévère processus de sélection dont la pertinence s'est illustrée lors du Festival Un Temps pour Elles ou avec la publication (chez La Boîte à Pépites, le label de l'association) d’un coffret Charlotte Sohy (2) ou celle, toute récente, d’une intégrale des mélodies – admirables ! –  de Rita Strohl (1865-1941), point de départ d’une vaste entreprise discographique qui promet de donner la mesure d’une compositrice pour le moins étonnante (l'intégrale de la musique de chambre et la Symphonie de la forêt suivront durant les mois à venir).
Pour son concert inaugural, la Saison européenne de la BnF donnait rendez-vous dans le cadre inattendu de la salle Ovale du site Richelieu avec un programme construit autour de pages d’Hedwige Chrétien (1859-1944), interprété par Adèle Charvet, Renaud Capuçon, Xavier Phillips et Guillaume Bellom.

Un catalogue de 200 œuvres
 
Formée au Conservatoire de Paris où elle étudia dans les classes de Franck (orgue), Réty et Massart (piano), Bazille (accompagnement), Guiraud et Lenepveu (harmonie), Guiraud (contrepoint et fugue – notre compositrice fut la première femme à obtenir un premier prix dans ces disciplines en 1887) et Pessard (orchestration), Hedwige Chrétien, après des débuts de pédagogue, se consacra entièrement à la composition à partir de 1892 et, malgré une vie personnelle plutôt compliquée à la suite de son divorce en 1894, trouva le temps de donner jour à une productions importante – son catalogue compte environ 200 titres, dans des domaines très variés allant du piano à l’opéra-comique, avec une place de choix réservée aux vents.

 

© Fabrice Gaboriau / BnF
 
Mélodies avec accompagnement chambriste
 
C’est à une contemporaine d’Hedwige Chrétien, Mel Bonis (1858-1937), que revient d’ouvrir le concert avec Soir !, premier volet du diptyque Soir ! Matin ! op. 76 pour violon, violoncelle et piano (1907). Traduite avec tact et sensibilité, l’effusive poésie de cette musique trouve on peut mieux sa place en exergue d’un programme d’esprit profondément chambriste, qu’il s’agisse des pièces instrumentales ou des mélodies confiées à la voix d’Adèle Charvet. A l’instar de beaucoup de compositeurs de son époque, Hedwige Chrétien manifesta un penchant prononcé pour la mélodie, avec piano bien sûr, mais aussi – et ce abondamment – avec accompagnement chambriste.

Étreinte lyrique
 
Et les interprètes de nous en offrir plusieurs exemples, pour voix, violon et piano d’abord. On cède immédiatement au lyrisme épanoui de Pour ceux qui aiment (1903), au parfum de temps jadis des Rêveries d’aïeules (1906), à la prégnance de La Prière (1888) ou à la mobilité très « feu follet » de Pensée fugitive (1889) Avec le naturel et le sens des mots qu’on lui connaît –  sans parler d’un timbre d’une rare beauté – Adèle Charvet saisit, sans jamais les forcer, le caractère et charme Belle Epoque des pièces, portée par l’accompagnement, ou plutôt l’étreinte lyrique de ses partenaires. Après un entêtant Beau soir (pour voix et piano) de Debussy – manière de rappeler que Claude-Achille fut le condisciple d’Hedwige dans la classe de Bazille au Conservatoire – ce sont le violon, le violoncelle et le piano qui entourent la mezzo dans Fanatisme, sensuelle mélodie (1904), hantée par le souvenir d’un baiser, qui valut un beau succès à la compositrice.
 

© Fabrice Gaboriau / BnF 

Un séduisant trio
 
De 1900, le Trio en ut mineur conclut et offre l’occasion d’une très belle découverte. Bien construite, inventive, jamais bavarde, la partition retient continûment l’intérêt, que ce soit dans un premier mouvement très ramassé et d’une expression tourmentée ; un épisode lent où les lignes s’entrelacent avec une voluptueuse intensité ; un scherzo joyeux, volubile et humoristique dans sa conclusion ; suivi d’un dernier volet qui retrouve les couleurs sombres du premier morceau et se distingue par sa fluidité et ses humeurs variées. Des qualités que l’on ne goûte que mieux, servies par des interprètes qui défendent une musique inconnue avec le même engagement et le même fini instrumental qu’ils le feraient pour des auteurs célèbres.
Conquis, le public est gratifié en bis de Nuit (1898) d’Hedwige Chrétien, mélodie pas moins charmeuse que les précédentes, qu’Adèle Charvet fait renaître entourée de ses trois attentifs partenaires
 
De belles découvertes à venir
 
Coup d’envoi réussi donc pour une saison dont le prochain rendez-vous, le 21 novembre, rimera avec musique baroque puisque des pages d’Elisabeth Jacquet de la Guerre et Antonia Bembo y seront défendues par Chantal Santon et Les Paladins de Jérôme Correas.
Rappelons que la saison de Elles Women Composers comporte par ailleurs une série de quatre concerts à la Philharmonie de Paris (qui s’ouvrira le 16 novembre avec un programme « English Songs » confié à Lucile Richardot, Sarah Nemtanu et Anne de Fornel). Quant aux enregistrements, outre les Strohl précédemment signalés, on attend pour la fin janvier un disque Jeanne Leleu interprété par Marie-Laure Garnier, Alexandre Pascal, Léa Hennino, Héloïse Luzzati et Célia Oneto Bensaid.
 
Alain Cochard

 

(1)   www.concertclassic.com/article/festival-un-temps-pour-elles-2023-pepites-foison
 
(2)   www.concertclassic.com/article/charlotte-sohy-compositrice-de-la-belle-epoque-jardin-secret  // Signalons aux chanteurs et musiciens que nombre de partitions de Charlotte Sohy seront bientôt disponibles sur le site de Ellew Women Composers
 
Paris, Salle Ovale de la BnF-Richelieu, 30 octobre 2023
 
Saison 2023-2024 d'Elles Women Composers : elleswomencomposers.com/concerts/

Photo © Fabrice Gaboriau / BnF

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