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Il Trovatore à l’Opéra Bastille – Intense et abouti – Compte-rendu

Invité régulier de la Scala de Milan, Alex Ollé l'un des fondateurs du collectif catalan La Fura dels Baus, n'aura pas attendu longtemps pour se voir confier par Stéphane Lissner une nouvelle production, en l'occurrence celle du Trovatore de Verdi. Le spectacle de Francesca Zambello avait fait son temps et l'ouvrage méritait une lecture moins passe-partout. Finis la mine, les wagonnets et l'esprit Far West, place à la guerre, aux soldats et aux conflits qui, en opposant les hommes, jettent sur les routes des peuples privés de leurs terres et de leurs identités. L’astucieux décor d'Alfons Flores, composé d'une plan incliné percé de cases dans lesquelles viennent s'insérer des blocs rectangulaires assemblés en damier, n'est pas sans évoquer l'austère architecture du Mémorial aux Juifs assassinés de Peter Eisenman à Berlin. Sortie ou rentrée, cette forêt de béton, à la fois champ de stèles, labyrinthe, chambre, église ou prison, constitue un cadre qui malgré sa totale absence de réalisme, épouse parfaitement les différentes étapes de l'intrigue.
 
Si l'esthétique prime avant tout, cette cauchemardesque histoire même dans ces méandres, est traitée sans esquive, offrant à plusieurs reprises de belles images comme celle où Azucena revoit en rêve le bûcher qui dévora sa mère et son enfant, symbolisés par l'apparition de soldats portant des masques à gaz, éclairés tels des revenants par le magicien Urs Schönebaum.
 
A cette mise en scène nerveuse et intense répond un orchestre subtilement conduit par le chef Daniele Callegari qui, sans posséder le génie d'un Muti, laisse deviner d'acte en acte les affinités avec une partition dont il traduit le dramatisme sans en exagérer les contrastes. Le plateau réuni pour l'occasion est admirable : dans le rôle de Leonora, Anna Netrebko déverse le flot opulent d'une voix magnifiquement timbrée, dont l'incroyable assise lui assure un égal confort sur toute l'étendue du registre. L'interprète se montre de plus sensible (admirable pendant le « D'amor sull'ali rosee ») et disciplinée, ce qui n'a pas toujours été le cas. Ekaterina Semenchuk, déjà royale en Eboli à Salzbourg(1) en 2013, campe une Azucena de grande classe, touchante, habitée, nuancée comme rarement jusque dans ses brusques accès de délire, sobre et intègre, en une mot impressionnante, loin des habituels clichés de l'éternelle sorcière.
 

@ Charles Duprat / Opéra national de Paris

Dans le rôle du Conte di Luna, Ludovic Tézier est comme l'on s'y attendait, sans rival, somptueux de timbre, de puissance et d’intelligence musicale, le tout au service d'un personnage d'autant plus odieux qu'il est sophistiqué. Le ténor argentin Marcelo Alvarez a encore de beaux restes en Manrico, une voix saine et bien conduite, mais la vaillance, l’impétuosité lui font aujourd'hui défaut et son « Di quella pira », juste esquissé, fait peine à entendre. Bons comprimari, Roberto Tagliavini (Ferrando), Marion Lebègue (Inès), choeurs au cordeau.
 
François Lesueur

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(1)avec J. Kaufmann et A. Harteros, sous la direction d’A. Pappano en août 2013.
 
 
 
Verdi : Il Trovatore – Paris, Opéra Bastille, 31 janvier, prochaines représentations 3, 8, 11, 15, 20, 24, 27, 29 février, 3, 6, 10 & 15 mars 2016 / www.concertclassic.com/concert/le-trouvere-de-verdi-2

Voir l'air "d’amor Sull’Ali rosee" du Trouvere de Verdi par Anna Netrebko

Voir l'air d’Il balen del suo sorriso du Trouvere de Verdi par Ludovic Tézier

Photo © Charles Duprat / Opéra national de Paris

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