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Il Tigrane de Scarlatti à Nice - Le triomphe des voix - Compte-rendu

Le spectateur d’aujourd’hui est si accoutumé à l’actualisation dans les mises en scène du corpus baroque que les initiatives de « reconstitution historique » en sont devenues presque exotiques. Certes, le public français connaît bien désormais le travail réalisé dans le répertoire du dix-septième siècle par Benjamin Lazar, qui a placé ses pas dans ceux d’Eugène Green. Mais rares sont ceux qui, à l’instar de Gilbert Blin, également directeur de l’Académie Desprez associée au festival de Drottningholm – laquelle a soutenu les recherches préparatoires à la production – assument l’artificialité des opéras à machine, dont les ouvrages du settecento offrent sans doute un des plus éclatants avatars.

Jalonnée d’apartés, Il Tigrane condense à merveille un subtil nuancier de relations courtisanes entre les personnages, miroir en cela des différentes strates de la société de l’époque, qui se retrouve dans les poses calculées des interprètes, fardés selon l’usage. L’artifice, historiquement informé, se fige cependant au fil de la soirée, faute peut-être de renouveler la dramaturgie somme toute assez conventionnelle de l’ouvrage. La prudence quant aux coupures opérées, plus proche de la cosmétique – avouée – n’y est sans doute pas non plus étrangère. Une fois l’œil rassasié par la perspective des décors en carton-pâte, l’intelligence théâtrale reste un peu sur sa faim.

Ce travail sur la caractérisation des rôles présente au moins l’avantage de mettre en valeur l’intéressante distribution réunie. Flavio Ferri-Benedetti, Tigrane vigoureux et incisif, représente l’exemple même du contre-ténor héroïque, tandis que José Lemos, délicat Policare, incarne le versant plus élégiaque de la tessiture. Son rival, Doraspe, plus en retrait dans l’œuvre, se vêt de l’énergie que lui confère Ancio Zorzi Giustiniani.

Du côté des héroïnes, Olga Pasichnyk, avec une émission remarquablement concentrée, se révèle brillante Tomiri, même si l’on peut lui préférer le naturel de Yulia van Doren, irrésistible de féminité en Meroe, qui réussit une parfaite synthèse entre les conventions d’un chant très codifié et la sincérité de l’expression. Mireille Lebel, Dorilla piquante et sémillante, Thierry di Méo, Oronte et Douglas Williams, Orcone, complètent le plateau. A la tête de l’Ensemble Baroque de Nice, qui célèbre cette année son trentième anniversaire, Gilbert Bezzina défend la partition de Scarlatti avec un attachement sincère, même s’il ne peut faire oublier une mise en place parfois perfectible, et une instabilité dans les sonorités que l’on ne connaît plus guère désormais. Mentionnons enfin le chœur de l’Opéra de Nice, sous la direction de Giulio Magnanini, auxquels se joint celui des enfants préparé par Philippe Négrel.

Gilles Charlassier

Scarlatti : Il Tigrane – Nice, Opéra, 1er juin 2012

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Photo : D. Jaussein
 

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