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Finale du Concours de Genève 2022 (Piano) – Match à deux – Compte-rendu

 
Avec 182 dossiers de candidature pour une édition 2022 consacrée au piano, le Concours de musique de Genève prouve que son succès ne se dément pas chez les jeunes interprètes. Pas plus qu’auprès d’un public venu en nombre au Victoria Hall pour assister à une finale avec orchestre qui mettait en présence quatre instrumentistes (dans l’ordre de passage) : Zijian Wei, Kaoruko Igarashi, Kevin Chen (photo) et Sergey Belyavsky, accompagnés par l’Orchestre de la Suisse Romande – très impliqué – mené par l’excellente Marzena Diakun. Quant au jury, présidé par Janina Fialkowska, il réunissait Florent Boffard, Jusu de Solaun, Till Fellner, Momo Kodama, Marianna Shirinyan et Gilles Vonsattel.
 

Marzena Diakun © Anne-Laure Lechat
 
Les impressions mitigées à la fin de la première partie –  où cours de laquelle se sont succédé les deux concurrents ayant finalement obtenu le 3Prix ex æquo – laissaient quelque peu dubitatif quant au niveau du 76Concours. Elles ont été complètement dissipées lors d’une passionnante fin de soirée qui a démontré que l’ultime étape de la compétition se jouait véritablement entre deux pianistes aussi différents que remarquables. 
  

Kevin Chen © Anne-Laure Lechat

Musicalité, poésie, élégance
 
A 17 ans seulement, le Canadien Kevin Chen a le vent en poupe. Après avoir remporté le 1er Prix du Concours international Franz Liszt de Budapest il y a un an exactement, il décroche la récompense suprême à Genève dans le Concerto n° 1 de Chopin. Le jeune interprète – qui a peu ou prou l’âge du compositeur au moment où cette musique fut écrite – parvient à un résultat pétri de poésie et de musicalité. Il fait oublier que nous sommes à un « concours ». Simple, lumineuse, d’une expressive pudeur, son approche traduit la jeunesse et le lyrisme de la partition (certes pas la plus impressionnante du répertoire, mais d’une difficulté technique redoutable) avec autant de naturel que d’élégance. Maîtrise de la phrase et des traits, toujours conduits jusqu’à leur terme, raffinement de la palette sonore : sous des doigts aussi inspirés et narratifs, l’archi-rebattu Concerto en mi mineur se déploie avec une fraîcheur merveilleuse, saluée par une longue et chaleureuse ovation.
Kevin Chen obtient donc le 1er Prix, mais aussi plusieurs prix spéciaux : Prix du jeune public, Prix Rose-Marie Huguenin (partagé avec les trois autres finalistes), Prix Fondation Etrillard, Prix Concerts de Jussy, Prix de la Société des Arts et Prix des Concerts Steinway. Belle moisson pour un jeune artiste au potentiel d’évolution considérable ! 
 

Sergey Belyavsky © Anne-Laure Lechat
 
Prokofiev à bras le corps
 
Russe aujourd’hui installé aux Etats-Unis, Sergey Belyavsky (28 ans) aborde la finale dans son arbre généalogique avec le Concerto n° 3 de Prokofiev ; composition dont il possède tant les moyens techniques qu’une intime compréhension. Sa réussite s’impose avec d’autant plus d’évidence que l’on a entendu en première partie un total hors-sujet dans ce même ouvrage de la part de la candidate japonaise. Sonorité pleine et puissante, mais jamais « tapée », variété des attaques : assis très bas face au clavier, il prend la partition à bras le corps et fait mouche par la tension, le relief, la diversité des caractères qu’il en tire (admirable Tema con varizioni). On n’est pas moins séduit par l’échange avec l’orchestre : l’attention que le pianiste lui porte contribue à aviver les couleurs des divers solos et aboutit à un résultat aussi vivant que stimulant, accueilli avec force applaudissements. Le bilan est plus que positif pour Sergey Belyavsky qui, au 2ème Prix, ajoute les Prix du Public, Prix des étudiants, Prix Rose-Marie Huguenin, Prix Paderewski et Prix des Concerts Steinway.
 

  Zijian Wei © Anne-Laure Lechat

Choix discutables et contre-emploi
 
Avec un 3Prix ex æquo et le seul Prix Rose-Marie Huguenin, le résultat s’avère infiniment plus maigre pour les deux autres finalistes : Zijian Wei (23 ans) et Kaoruko Igarashi (27 ans), et, il faut le reconnaître, témoigne du fossé entre les deux premiers lauréats et ces deux-ci. La sonorité très ample et les moyens digitaux du candidat chinois ne laissent certes pas indifférent dans le Concerto n° 1 de Liszt, fermement tenu et mené avec une belle énergie – qui fait voler en l’air les lunettes du jeune homme dans les mesures conclusives ! – , mais l’électricité, l’ivresse virtuose lui réussissent mieux que les passages les plus poétiques, où il cède à une manière poseuse et excessivement « sucrée ». Une conception très discutable qui, à tout le moins, présente le mérite de l’engagement.
Quant à la candidate japonaise, son choix du Concerto n° 3 de Prokofiev la montre à contre-emploi dans une partition en totale inadéquation avec sa frêle sonorité. Elle ne dépasse hélas jamais la dimension digitale au cours d’une lecture impersonnelle et sans tension.  
 

Kaoruko Igarashi © Anne-Laure Lechat

Flûte et quatuor à cordes en 2023
 
Un concours offre en outre l’occasion de repérer des musiciens qui, s’il est encore top tôt pour les voir accéder à la finale, méritent qu’on les suive attentivement. C’est le cas au 76Concours de Genève pour le Russe Vsevolod Zavidov (16 ans) et l’Etatsunienne Adria Ye (24 ans), qui ont respectivement obtenu le Prix Georges Leibenson et le Prix Paul Streit.
Enfin, rappelons que Concours de Genève 2022 comprenait aussi un volet composition, qui a distingué Shin Kim (1er Prix, Corée du Sud, 27 ans), Yuki Nakahashi (2Prix, Japon, 26 ans) et Ármin Cservenák (Hongrie, 26 ans, 3Prix et Prix du Public). Rendez-vous à Genève en 2023 pour le 77Concours : la flûte et le quatuor à cordes en seront les vedettes !

 
Alain Cochard  
 

Genève, Victoria Hall, 3 novembre 2022
www.concoursgeneve.ch
 
Photo © Anne-Laure Lechat

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