Le Festival « Un Temps pour Elles » est de retour, du 10 juin au 9 juillet, organisé à l’initiative de l’association Elles Women Composers (1), fondée en 2020 par la violoncelliste Héloïse Luzzati (photo), dont la mission est de « redonner vie à des œuvres inconnues ou – au mieux – méconnues de compositrices. » Elles Women Composers a été présente ces mois derniers par le biais de La Boîte à Pépites, qui désigne à la fois la chaîne vidéo créée par l’association – sur laquelle on a pu découvrir des portraits en dessin animé de plusieurs musiciennes, mais aussi un très original calendrier de l’Avent (parvenu à sa 3e édition en 2022 – en trois ans 75 compositrices ont été abordées !) (2) – et un label discographique dont le premier volume (3), un coffret-portrait de Charlotte Sohy (1887-1955), a remporté un succès considérable, à la mesure du talent de cette merveilleuse créatrice.
 

© Cécile Bidault

 
Un patient travail d’identification
 
Des pépites ? C’est bien le mot ! La directrice artistique et son équipe sont comparables à des chercheurs d’or dans leur travail d’identification des partitions. Il faut trier, brasser beaucoup de matériau –  parfois très légitimement oublié – pour mettre à jour les pépites. « Nous nous retrouvons très régulièrement entre musiciens pour faire de grandes séances de lecture, extrêmement réjouissantes, explique H. Luzzati. Célia Oneto Bensaid occupe une place essentielle au cœur de notre petit groupe de lecteurs passionnés. Nous ne lisons pas que des partitions incroyables, il y a parfois aussi des choses affreuses ! Nous prenons beaucoup de notes au cours de nos séances ; nous notons justement nos découvertes, de – – – à + + +, et nous établissons des minutages, point essentiel pour la construction des futurs programmes. De ces lectures naissent tous les projets de l’association. »
 

Célia Oneto Bensaid © Capucine de Chocqueuse

« Notre activité comprend désormais aussi une partie éditoriale afin que les musiciens qui le désirent puissent jouer les œuvres que nous avons contribué à sortir de l’oubli. Nous sommes en train de lancer nos propres éditions : les premières partitions sortiront à la rentrée prochaine. » Et ce n’est là qu’un aspect des nouvelles initiatives d’Elles Women Composers à partir de l’automne, on y reviendra plus avant.

L’actualité est pour l’heure occupée par le Festival « Un Temps pour Elles », qui s’ouvre les 10 et 11 juin à l’Abbaye de Maubuisson, avec Marianne Croux, Pierre et Théo Fouchenneret dans un programme Clara Schumann, Luise Adolpha Le Beau, Ethel Smyth et Laura Netzel, et déroule une programmation d’une inventivité rare jusqu’au bouquet final des 8 et 9 juillet au Domaine de Villarceaux avec trois concerts inspirés par les 4 Eléments.
 

Clémence de Grandval (1828-1907) dont le Stabat Mater marque l'entrée de la musique chorale au programme d'Un Temps pour Elles, le 18 juin à Royaumont © DR

Des programmes qui racontent une histoire
 
L’édition 2023 de la manifestation demeure fidèle à son principe itinérant, qui la conduit à s’installer le week-end dans de magnifiques lieux patrimoniaux du Val d’Oise (département sur lequel le festival, lancé en 2020, s’est recentré dès 2021). Deux nouveaux sites sont investis cette année : la cathédrale de Pontoise et le Château d’Ecouen-Musée national de la Renaissance.
Nouveauté de 2023, la musique chorale est pour la première fois au programme avec la venue du Chœur Vittoria d’Île-de-France (dir. Michel Piquemal), le 18 juin à l’Abbaye de Royaumont, dans le Stabat Mater de Clémence de Grandval (1828-1907). Reste que, comme lors des éditions antérieures, la musique chambre et la mélodie demeurent les deux grands axes de programmes «tous bâtis autour d’un fil rouge. J’y tiens énormément, insiste H. Luzzati, car cela permet de raconter une histoire à chaque concert et cela nous pousse aussi à rechercher des partitions en lien avec le fil rouge ».
 
Les femmes Prix de Rome à l’honneur
 
Autre ligne conductrice, le festival qui arrive réserve une place particulière aux compositrices distinguées par le Prix de Rome (ouvert aux femmes en 1903, un siècle après sa création ...) :  on entendra ainsi des pages d’Hélène Fleury-Roy (1876-1957), première femme de l’histoire du concours récompensée (d’un second prix) en 1904 ; Lili Boulanger (première femme à obtenir le 1er Grand Prix, en 1913) est évidemment programmée, mais on relève par ailleurs les noms de Marguerite Canal (1er GP 1920 / 1890-1978), Jeanne Leleu (1er GP 1923 / 1898-1979) ou encore Adrienne Clostre ( 1er GP 1949 / 1921-2006).
 

Le Château de La Roche-Guyon, cadre du concert hommage à Colette, par Annie Duperey et le Trio George Sand, le 24 juin © DR
 
Garbo la Solitaire
 
La découverte de cette dernière, le 22 juin au théâtre Madeleine Renaud de Taverny (l’unique concert en semaine du festival), se fera d’ailleurs de manière originale avec Garbo la Solitaire ; une partition pour récitante et violoncelle, écrite en 1992 en hommage à Greta Garbo, qu’Amandine Robilliard (archet et voix) offrira dans le cadre d’un spectacle auquel la plasticienne Manon Rudant apporte son concours pour l’illustration et la vidéo. C’est là un exemple des programmes transversaux qui l’on trouve parfois à l’affiche de l’édition 2023 et, auquel s’ajoute « Je serai le feu » ( Abbaye de Maubuisson, 11 juin), inspiré par l’anthologie poétique de la dessinatrice Diglee, créé avec succès l’an dernier dans le cadre du festival littéraire « Hors Limites » de Seine-Saint-Denis. Quant au 150e anniversaire de la naissance de Colette, Un Temps pour Elle ne pouvait manquer de le célébrer : Annie Duperey et le Trio George Sand s’en chargeront avec « La naissance du jour » (château de La Roche-Guyon, 24 juin.)
Détail d’importance, il convient de préciser à l’attention des mélomanes non motorisés, que le festival a mis en place un système de navettes leur permettant de se rendre sur les lieux qui ne sont pas directement accessibles en transports en commun (cf. infra).
 
 La saison musicale de la Bibliothèque nationale de France
 
De nouvelles initiatives de la part d’Elles Women Composers à partir de l’automne ? « Ce sera une grande année », lance Héloïse Luzzati en considérant la saison qui arrive ... La formule n’a rien d’excessif. L’enthousiasme soulève des montagnes et tous les passionnés de répertoires rares, tous les mélomanes en quête d’autre chose que l’affligeant ronron programmatique dans lequel se complaît trop souvent la vie musicale ne pourront que se réjouir de ce que l’actualité des prochains mois nous réserve grâce à Elles Women Composers.
 
A la Bibliothèque nationale de France d’abord : par l’entremise d’Anne de Fornel, pianiste et directrice de la recherche au CNSMD de Lyon, une rencontre entre Héloïse Luzzati et Mathias Auclair, directeur du département Musique de la BnF, a eu lieu. La BnF, lieu incontournable, on l’imagine aisément, dans le travail de l’équipe d’Elles Women Composers.
« L’idée de travailler de façon plus approfondie avec la BnF était très importante pour moi, reconnaît H. Luzzati. De la rencontre avec Mathias Auclair est née l’envie de travailler sur une programmation et, de fil en aiguille, de faire la programmation musicale de la BnF pour la totalité de la saison 2023/2024. » Du 30 octobre au 10 juin, la salle Ovale du site Richelieu accueillera des concerts à intervalle régulier (le lundi soir).
 

Renaud Capuçon, parmi les interprètes du concert à la BnF le 30 octobre © Simon Fowler
 
Huit portraits de compositrices
 
Ce huit rendez-vous constituent autant de portraits de compositrices dont les fonds sont hébergés à la BnF (Hedwige Chrétien/30 oct. ; Elisabeth Jacquet de la Guerre/21 nov. ; Edith Canat de Chizy/11 déc. ; Jeanne Leleu/22 janv. ; Clémence de Grandval/11 mars ; Nadia Boulanger/29 avril ; Germaine Tailleferre/28 mai, à la Galerie Colbert exceptionnellement ; Marguerite Canal/10 juin). « Un projet qui, remarque H. Luzzati, synthétise l’essence et le but de notre association : la valorisation de fonds dormants. » Une certitude, les amateurs de raretés piaffent d’impatience. Coup d’envoi le 30 octobre avec Hedwige Chrétien par Renaud Capuçon, Xavier Phillips et Guillaume Bellom ! On retrouvera par la suite des interprètes tels que Les Paladins, Marie-Laure Garnier, Célia Oneto Bensaid, Héloïse Luzzati, Fiona McGown, Lucile Richardot, le Quatuor Mona ou les frères Fouchenneret.

Quatre programmes à la Philharmonie de Paris

La saison de la BnF que signe Elles Women Composers illustre une évolution dans l’action de l’association. « Nous travaillons de plus en plus avec d’autres structures de diffusion (4), souligne H. Luzzatti pour faire soit des co-productions comme avec la BnF, soit de la programmation, comme ce sera le cas pour des programmes de la saison 23/24 de la Philharmonie de Paris. »
Quatre rendez-vous se succéderont en effet à la Villette :  « English Songs » (11 nov.) avec Lucile Richardot ; « Hymne à la nuit » (7 janv.) avec Elsa Dreisig et Bertrand Chamayou ; « Aladin et la Belle éveillée » (10 fév.), un programme dans un esprit « Chat noir » autour de Jane Vieu et Lucien Métivet, avec Marie Oppert et l’Orchestre de chambre de Paris et, enfin, « Variations romantiques » (2 avril), qui réunira Alexandre Pascal, Léa Hennino, Héloïse Luzzati et Célia Oneto Bensaid autour de pages de Luise Adolpha Le Beau et Rita Strohl (1865-1941). 
  

Rita Strohl © DR

Rita Strohl superstar !
 
Cette dernière sera d’ailleurs sacrément gâtée par la label d’Elles Women Composers la saison prochaine puisque pas moins de trois parutions sont annoncées chez La Boîte à pépites : à l’automne, un coffret (2CD) interprété par Elsa Dreisig, Stéphane Degout et Adèle Charvet – excusez du peu – accompagnés par les excelllents Florian Caroubi et Romain Louveau, permettra de se familiariser avec la musique vocale de la singulière – et prolifique ! – compositrice bretonne. Au printemps prochain un autre coffret (3CD), confié à une très belle équipe, explorera sa musique chambre. Quant à la musique symphonique de Strohl, un programme autour de la Symphonie de la forêt (1901), interprété par l’Orchestre national d’Île-de-France, sortira à l’automne 2024. « Pour ce projet, comme celui de la musique de chambre nous nous sommes associés avec le Palazzetto Bru Zane, précise H. Luzzati, ce dernier travaillant à l’édition des partitions, tandis que Elles Women Composers a la charge de la partie discographique.»
Enfin, cerise sur le gâteau s'agissant des enregistrements, un disque Jeanne Leleu est attendu en parallèle du concert du 22 janvier à la BnF, avec les mêmes interprètes : Marie-Laure Garnier, Alexandre Pascal, Léa Hennino, Héloïse Luzzati et Célia Oneto Bensaid.
Grande année, en effet !
 
Alain Cochard
(Entretien avec Héloïse Luzzati réalisé le 31 mai 2023)
 

Festival « Un Temps pour Elles »
Du 10 juin au 9 juillet 2023
Département du Val d’Oise / lieux divers
Programmation détaillée :
elleswomencomposers.com/festival-un-temps-pour-elles/
 
NB Certains des lieux sont accessibles en transports en commun (Abbaye de Maubuisson, Eglise de Luzarches, Cathédrale de Pontoise, Théâtre Madeleine Renaud de Taverny). Pour les autres, des navettes sont mises en place depuis la gare la plus proche du lieu de concert. Pour en bénéficier il suffit d’écrire à festival@elleswomencomposers.com ou d’appeler le 07 53 85 44 58
 
(1) elleswomencomposers.com
 
(2) www.concertclassic.com/article/le-calendrier-de-lavent-2022-de-la-boite-pepites-25-femmes-la-fenetre-saison-3
 
(3) www.concertclassic.com/article/charlotte-sohy-compositrice-de-la-belle-epoque-jardin-secret
 
(4) Les coopérations ne se limitent pas à Paris, ainsi Elles Women Composers est-elle impliquée cette année dans le Festival "Tons Voisins" d'Albi, du 6 au 10 juin 2023 : www.tons-voisins.com/

Photo © Capucine de Chocqueuse