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Exposition « Les Ballets Suédois » au Palais Garnier – Une folle avant-garde retrouvée

C’est une formidable visite dans l’un des moments les plus originaux de l’histoire du ballet que propose le Palais Garnier, tout à fait en marge de sa programmation, et avec le concours de la BnF. Un contrepoint aux oriflammes déployées pour le centenaire des Ballets Russes, dont Les Ballets Suédois furent les successeurs autant que les concurrents, au cours d’une brève et tapageuse existence, de 1920 à 1925.
La compagnie annonçait ne se réclamer de personne, avec pour seule bannière son indépendance matérielle et intellectuelle: « les Ballets Suédois ont sauté à pieds joints par-dessus les lieux communs chorégraphiques. Ils s’en portent fort bien, ils veulent du nouveau ». En fait, elle n’exista que grâce au triumvirat harmonieux qui la dirigea : deux Suédois, le richissime mécène Rolf de Maré, le danseur chorégraphe Jean Börlin, et un imprésario avisé, français celui-là, Jacques Hébertot. Ils eurent  donc toute liberté  pour conquérir Paris à leur façon - alors que Diaghilev, sans le sou, était obligé de séduire - et n’en firent qu’à leur tête. Une tête emplie de folles idées d’avant-garde qui fit appel au meilleur de l’intelligentsia parisienne du temps.
 
A eux donc Cocteau, Cendrars, Claudel, Picabia, Léger, De Chirico, Milhaud, Honegger, Satie, Tailleferre, pour de cocasses et provocants tableaux vivants, très influencés par l’énergie cinétique et la figure d’un Chaplin, qui en fait ne sont en rien des ballets, mais où le mouvement part du décor et le fait vibrer. On le comprend en regardant le passage dansé avec Jean Börlin, filmé par Marcel L’Herbier en 1924 dans l’Inhumaine, qui est astucieusement projeté entre croquis précieux, costumes de scène, maquettes, photographies et de magnifiques affiches qui sont de véritables œuvres d’art.
 De multiples aspects de la production de la compagnie en ressortent, de leur identité suédoise respectée avec Dansgille et Nuit de Saint-Jean, à leur goût de l’exotisme, dans le primitiviste La Création du Monde, et à leurs recherches kaléidoscopiques pour Skating ring, Puis il y eut Relâche, sur lequel finit l’aventure, et dont l’esprit est difficilement transmissible aujourd’hui, comme le Ballet de Lorraine en a fait la fâcheuse expérience cette saison.
 
Une influence laissée, sinon le pur désir de liberté, parfois un peu naïf, par cette conjonction d’artistes allumés ? L’exposition tente de le montrer, mettant notamment en relief Carina Ari, vedette de la troupe, qui fut engagée à l’Opéra, après avoir épousé Désiré Inghelbrecht, et évoquant une version de Relâche tentée en 1979 par le chorégraphe Moses Pendleton –fondateur de Pilobolus. Mais les Ballets Suédois n’ont pas eu de véritables héritiers : ils s’en seraient d’ailleurs bien moqués. Ils avaient la santé !
 
Jacqueline Thuilleux
 
Exposition «Les Ballets Suédois » - Paris, Palais Garnier (Bibliothèque-Musée), jusqu’au 28 septembre 2014, tous les jours de 10h à 17h (jusqu’à 18h du 16 juillet au 30 août) - www.operadeparis.fr
En complément, parution d’un livre-catalogue aux éditions Gourcuff-Gradenigo (156 p.), réalisé sous la direction de Mathias Auclair, Frank Claustrat et Inès Piovesan

Photo : Fernand Léger, projet de décor pour La Création du Monde, 1923, détail © BmoBnFADAGP, Paris 2014

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