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​Don Giovanni selon Claus Guth à l’Opéra Bastille - Promenons-nous dans les bois … - Compte-rendu

Les Don Giovanni se suivent et ne se ressemblent pas, mais l’Opéra Bastille méritait-il après Pitoiset, Haneke et Van Hove de faire une place à Claus Guth, auteur d’une bien triste vision du chef-d’œuvre mozartien créée à Salzbourg en 2008 ?
Difficile de faire plus novateur et radical que Haneke en 2006 qui, en décidant de faire table rase, demeure aujourd’hui encore celui qui est allé le plus loin. Transposée aux forceps dans une forêt profonde placée encore une fois sur une tournette, certes joliment éclairée par Olaf Winter, l’intrigue devient pour Guth un simple fait divers. Dans une scène de duel décisive jouée au ralenti, située pendant l’ouverture et vue comme un gros plan, un délinquant héroïnomane, Don Giovanni, se fait tirer dessus par un homme venu s’interposer – on le comprendra très vite – entre lui et une jeune femme très entreprenante sexuellement. Rien de métaphysique donc dans ce flash-back en temps réel où un voyou tente de survivre à sa blessure tout en consacrant ces dernières forces à jouir de ce qui lui reste de vie.
 

© Bernd Uhlig - OnP

Soutenu par son double, Leporello, toxicomane et dégénéré, qui le soigne et lui administre quelques seringues de drogue, Don Giovanni – qui n’a rien d’un Don – se traîne lamentablement dans cette sombre forêt où il croise sans raison de jeunes mariés, une maîtresse, son ex-femme ou de curieux fêtards venus participer à une soirée improvisée. Une voiture en panne, un abribus, une balançoire sont autant d’éléments décoratifs incongrus, distillés au gré de cette ultime promenade sous la lune où l’anti-héros finira par mourir aux pieds du Commandeur, pardon, du père d’Anna …
Nous aurions aimé être happé par ce noir récit, remué, touché ou excité par cette chronique d’une mort annoncée, mais dans ce décor de forêt tyrolienne qui reste au fond l’élément dominant du spectacle (Christian Schmitt), tout sonne faux, anecdotique et plaqué, Guth ne faisant qu’aligner les scènes sans construire de véritable parcours.
 

© Bernd Uhlig - OnP

Dans le rôle-titre auquel son nom reste associé, Peter Mattei inoubliable chez Haneke, parvient malgré la faiblesse de la direction d’acteur à faire exister son personnage en montrant l’inconsistance, les failles et la vacuité de l’existence de ce loser invétéré. La voix vive, l’émission franche et le phrasé au scalpel de ce baryton magnifique, confirment sa suprématie dans ce rôle mythique, qu’il domine depuis plus de vingt ans. Comédien explosif doublé d’un chanteur racé, Alex Esposito brosse le portrait de ce Leporello sous acide de toutes ses forces, maniant comme son maître dans les récitatifs, la langue italienne avec un irrésistible débit mitraillette. Ténor au chant souple et soigné, Ben Bliss triomphe de l’apparent carcan qui comprime tant de ses homologues en Ottavio, Guilhem Worms et John Relyea étant assez décevants en Masetto et Commendatore.

Déjà Anna dans la dernière reprise du Don Giovanni de Ivo van Hove en 2022, Adela Zaharia se contente de chanter les notes sans apporter la moindre nuance, ni la moindre coloration à son personnage, ce que fait avec plus de fraîcheur et de spontanéité la jeune Ying Fang dans celui de Zerlina. Sans doute inquiète et stressée par cette première parisienne, Gaëlle Arquez passe totalement à côté d’Elvira dont la tessiture lui donne dès l’air d’entrée du fil à retordre (ah ce manque de justesse dans l’aigu) et dont elle maîtrise mal les registres.
Il faut dire que la direction anémiée d’Antonello Manacorda - monocorda serait plus juste ! – n’aide aucun des protagonistes, l’absence de souffle et de style du chef entraînant l’ensemble des pupitres vers la médiocrité, la partition n’étant guère mieux traitée qu’une vulgaire bande-son.

François Lesueur
 

 
Mozart : Don Giovanni - Opéra Bastille, 13 septembre 2023 ; prochaines représentations les 16, 19, 21 26, 29 septembre & les 1er, 3, 4, 6, 7, 9, 12 octobre 2023 // www.operadeparis.fr/en/season-23-24/opera/don-giovanni
 
Photo © Bernd Uhlig - Opéra national de Paris

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