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Concours International Long-Thibaud-Crespin 2018 – Le temps du renouveau

Concours au nom prestigieux, le Long-Thibaud-Crespin a donné – c’est enfoncer une porte grande ouverte que de l’écrire – d’inquiétants signes de fatigue depuis quelques années. Avec l’arrivée à sa direction artistique de deux jeunes interprètes français, Renaud Capuçon (photo) et Bertrand Chamayou, l’espoir renaît de voir la compétition (née en 1943, internationale depuis 1946, ouverte au chant depuis 2010) retrouver son lustre d’antant. Idées neuves, envie de bousculer les habitudes en matière de répertoire, composition du jury, nouveautés dans les prix, visibilité accrue : le temps du renouveau est venu ; le Concours entre – enfin – dans le XXIe siècle !

Les journées n’ont que vingt-quatre heures... ; compte tenu de son emploi du temps de concertiste, R. Capuçon a hésité un peu avant de répondre à l’appel du Concours, mais le désir de s’impliquer « pour lui donner un nouvel élan » a été plus fort. D’autant que, comme chacun sait, la capitale a énormément décliné depuis l’abandon par la Ville de Paris des Concours Rostropovitch, Menuhin, André et Rampal... Il était urgent d’agir.

L’une des plus belles chances du Long-Thibaud-Crespin est certainement de s’appuyer désormais sur deux directeurs artistiques aux profils plutôt « anti-concours ». Sans faire totalement l’impasse sur eux, R. Capuçon et B. Chamayou ont en effet bâti leurs carrières autrement, d’abord guidés par l’invention, la curiosité et le partage musical – chambristes fervents, ils comptent parmi les fidèles du Festival de Pâques de Deauville ; le violoniste étant même l’un de ses fondateurs.

© DR

Musique d’abord ! R. Capuçon avoue non sans malice avoir eu envie « de piéger un peu les candidats ». Pas question d’offrir l’un de ces concours-étapes où les participants se bornent à reprendre des œuvres que l’on retrouve systématiquement partout. D’une des trois Sonates pour violon seul de Bach (lors des éliminatoires) aux grands concertos romantiques proposés en finale, on trouve évidemment des partitions incontournables, mais R. Capuçon a veillé à placer à leurs côtés des pages beaucoup plus rares « qui exigent des candidats de s’être préparés spécifiquement ». L’arrière-pensée pédagogique est ouvertement revendiquée : « quelle que soit l’issue du concours pour eux, sa préparation aura amené les concurrents à apprendre des œuvres nouvelles. »

Ils auront ainsi dû monter (pour les demi-finales) l’une des douze Fantaisies pour violon solo de Telemann, tout comme la Fantaisie en ut majeur op. 131 de Schumann, « œuvre très particulière, à la fois virtuose et tourmentée, que nous sommes très peu à jouer aujourd’hui, précise le directeur artistique. J’ai aussi tenu, poursuit-il, à la présence (en finale récital) du Bœuf sur le toit de Darius Milhaud, réalisation majeure du répertoire français à mes yeux et que les jeunes musiciens se doivent de connaître. » Année Debussy oblige, la Sonate pour violon et piano de Claude de France constituera un admirable test poétique (en demi-finales) tandis que, pour rester dans le registre des pièces qui ne pardonnent rien, l’Andante un poco mosso du Trio op. 99 de Schubert (en finale récital) promet de beaucoup renseigner les jurés sur les aptitudes des divers violonistes.

Camille Pépin © Natacha Colmez

En finale, la présence obligatoire à côté d’un grand concerto (à choisir entre Beethoven, Brahms, Mendelssohn, Tchaïkovski, Dvorak et Sibelius) de l’Adagio du Concerto en ut majeur de Haydn s’avèrera à coup sûr hautement instructive ... Un morceau où l’on est « à poil », eût dit un grand maître. Le vent de renouveau qui souffle sur le Concours Long-Thibaud s’exprime en outre à travers la commande passée à la jeune compositrice française Camille Pépin (une ancienne élève de Thierry Escaich, Guillaume Connesson et Marc-André Dalbavie), pour la pièce contemporaine (intitulée Autumn Rythm) obligatoire de la finale récital.

Volet essentiel du renouveau du Long-Thibaud-Crespin, ces innovations en matière de répertoire ne pourront que contribuer à révéler d’authentiques personnalités. On peut faire confiance au jury prestigieux que Renaud Capuçon préside pour y veiller. Le directeur artistique a attaché soin particulier à sa composition. A côté de deux chefs d’orchestre, Yan Pascal Tortelier – violoniste de formation – et Jean-Jacques Kantorow –  chef doublé d’un violoniste et pédagogue qu’il n’est plus besoin de présenter –, on découvre des solistes et chambristes dans la quarantaine : Alena Baeva, Kolja Blacher, James Ehnes, Liana Gourdjia, Maxim Vengerov, Guillaume Sutre, Akiko Suwanai, Qian Zhou. Seule exception dans cette liste de musiciens, tous en activité : Martin Engstroem, un directeur de festival – et non des moindres puisqu’il s’agit de celui Verbier.
 

Guillaume Sutre © Connor Vance

Quant à Guillaume Sutre, le directeur artistique ne manque pas saluer le rôle essentiel qu’il a joué dans les présélections. Aussitôt prises en mains les rênes du Concours, R. Capuçon, fort d’une « confiance absolue » en son collègue, l’a appelé. « Par chance il était dans une année sabbatique et a pu m’apporter son aide. » Londres, Amsterdam, Berlin, Vienne, Moscou, Pékin, Séoul, Tokyo et New-York entre le 3 mai et le 6 juin : le printemps n’aura pas été de tout repos pour G. Sutre. Au terme de ces auditions – filmées, et validées a posteriori par R. Capuçon –, 49 violonistes ont été retenus. Chose inévitable dans tout concours international, un peu déperdition est intervenue et ce sont finalement 44 candidats que l’on trouvera sur la ligne de départ, le 2 novembre à la salle Cortot. 14 nationalités seront représentées, parmi lesquelles 17 Japonais – un témoignage du prestige que le Concours conserve en Asie – et 8 Français.

Quant au palmarès qui sera énoncé au terme de la finale concerto du 10 novembre à Radio France, accompagnée par l’Orchestre National des Pays de la Loire dirigé par Pascal Rophé, il est à noter que le Grand Prix Jacques Thibaud gagne en prestige à partir de cette année, les 25 000 € se doublant du prêt d’un violon italien du XVIIIe (un Guadagnini de 1754 en l’occurrence) par la Anima Music Foundation. Quant au 2ème Prix, en souvenir de celui de Christian Ferras en 1949 (le Grand Prix n’avait pas été attribué), il porte désormais le nom de l’inoubliable interprète. De plus, deux prix spéciaux, que le jury attribuera aux lauréats de son choix, sont créés ; l’un consistant en un violon moderne fabriqué spécialement par le luthier angevin Patrick Robin, l’autre en un enregistrement en récital offert par Warner Classics.

Bertrand Chamayou © Marco Borggreve

Et Bertrand Chamayou ? Il travaille activement à la préparation du Concours 2019, consacré au piano.(1) On en saura plus dans quelques mois, mais le nom de la présidente du jury est déjà connu : Martha Argerich. Voilà qui augure du meilleur ...

Pour le moment place au violon, du 2 au 10 novembre, avec des épreuves partagées entre la salle Cortot (Eliminatoires et Demi-Finales) et l’Auditorium de Radio France pour les Finales récital et concerto. Ces dernières bénéficieront d’une visibilité considérable grâce à leur retransmission en direct sur Culturebox, la page Facebook de France 3, Francemusique.fr et Medici TV.

Bonne chance à tous et ... que la musique gagne !

Alain Cochard
(Entretien avec Renaud Capuçon réalisé le 15 octobre 2018)

(1) La direction artistique du Concours 2020, consacré au chant, sera confiée à Dominique Meyer.

Concours Long-Thibaud-Crespin 2018
Du 2 au 10 novembre 2018
Eliminatoires : 2 et 3 novembre (10h, 14h, 18h) &  Demi-finales, 5 et 6 nov (16h, 19h le 5 ; 10h, 13h30 le 6), salle Cortot.
Finale récital : 7 nov. (15h/20h) ; Finale concerto, vendredi 9 et samedi 10 (20h le 9 et 19h le 10), Auditorium de Radio France.
www.long-thibaud-crespin.org
Retransmission en direct des finales sur Culturebox, la page Facebook de France 3, Francemusique.fr et Medici TV

Photo © Simon Fowler

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