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Compte-rendu : Sacrée Damnation ! - Tugan Sokhiev dirige Berlioz à Toulouse


« Légende dramatique », La Damnation de Faust de Berlioz, par son caractère hybride, confluent de l’opéra et de la symphonie, exige une capacité à appréhender tout autant la dimension théâtrale et dramatique que les atmosphères orchestrales les plus contrastées. La version de concert donnée par l’Orchestre National du Capitole de Toulouse a tenu, à cet égard, toutes ses promesses.

Une fois encore, Tugan Sokhiev témoigne par sa direction à la fois tendue et fluide d’un sens de l’animation, de la narration et d’une beauté musicale de tous les instants. Son geste tantôt souple, tantôt énergique, conduit des musiciens chauffés à blanc dans une même communion et apporte la preuve qu’il appartient au cénacle très restreint des jeunes chefs les plus inspirés. Porté par la puissance de l’écriture berliozienne, jouant avec une justesse de ton parfaitement accordée aux climats sonores que le compositeur s’ingénie à multiplier, Sokhiev réussit à insuffler élan et flamme entre Marche hongroise, Ballet des Sylphes, Menuet des Feux follets, Course à l’abîme et Pandémonium. Il atteint même un sentiment d’irréalité quasi fauréen dans la rédemption de Marguerite qui, soulevée par la voix des anges, conclut en apesanteur un grand moment de musique.

L’homogénéité du plateau vocal assure un équilibre constant à une partition pourtant difficile à doser. Anna Caterina Antonacci s’identifie à Marguerite et imprime à son personnage un caractère tragique digne d’une grande prêtresse antique tant par le charisme de ses interventions, la clarté de la diction, que par l’élégance racée d’une voix à la mélancolie grave. Moments d’anthologie que la « Ballade du Roi de Thulé » et l’air « D’amour l’ardente flamme »…

Le ténor américain Stuart Neill, carrure d’athlète, n’est pas physiquement le Faust de la passion amoureuse, mais il possède une aisance vocale (Hymne à la Nature) qui rend tout à fait crédible son incarnation (duo d’amour « Ange adorable », Pandémonium). Diabolique, sarcastique à souhait, le Méphistophélès de Sir Willard White (le Wotan de la récente Tétralogie aixoise), par son chant cuivré et ambré, suscite un sentiment d’étrangeté et de malaise (« Chanson de la Puce » et surtout « Chevauchée vers l’abîme »). Enfin, René Schirrer campe un crédible Brander et se détache, par sa présence, du groupe pittoresque des étudiants et des soldats.

Ce spectacle n’atteindrait pas un tel niveau sans la participation active des chœurs basques de l’Orfeon Donostiarra (préparés de main de maître par José Antonio Sainz Alfaro), de l’excellent chœur d’enfants toulousain La Lauzeta et du Chœur Variabilis de Condom qui ponctuent, chacun à sa manière, le discours musical avec chaleur et générosité. Le public, conquis, conscient d’avoir assisté à un événement exceptionnel, acclame durant vingt minutes l’ensemble des interprètes touchés par la grâce.

Michel Le Naour

Berlioz : La Damnation de Faust (version de concert)- Toulouse, Halle aux Grains, 15 janvier 2010

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Photo : DR

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