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Compte-rendu : Robustesse d’un Mozart toujours jeune - Les Noces de Figaro à Rouen

Revigorante, cette vision des Noces de Figaro en deuxième volet de la Trilogie Beaumarchais, que l’Opéra de Rouen a l’heureuse idée de dérouler cette saison. Voici donc la complexité d’une évolution, des émois irrésistibles de la jeunesse dans le Barbier de Séville aux désirs déjà frelatés de l’âge adulte des Noces, et enfin aux constats difficiles de l’amour vieillissant dans la Mère coupable, adaptée par Thierry Pécou pour son premier « grand opéra », et dont la création mondiale aura lieu le 23 avril. Après des temps difficiles, l’Opéra de Rouen émerge depuis une décennie, et les abonnements, qui se montent aujourd’hui à 10.000, témoignent d’une image restaurée et renforcée.

De ces Noces de Figaro, d’une complexité évidemment extrême, le metteur en scène Stephan Grögler, qui assure les deux autres productions par cohérence, a privilégié la vigueur, la robustesse ultra-vitaminée d’une œuvre si riche en clairs-obscurs, en non-dits autant qu’en aveux criés, que les visions en sont évidemment multiples.

Gardant le contexte de l’époque, il en cultive l’esprit farce, voire bouffon avec beaucoup de cocasserie, ce qui convient à la direction pour le moins énergique d’Oswald Sallaberger, conquérant tyrolien venu s’implanter depuis dix ans sur ce terroir normand, où il cravache l’orchestre sans lui laisser le temps de reprendre son souffle. Comme aux chanteurs d’ailleurs, avec lesquels il n’est pas toujours tendre, aucun d’entre eux n’étant ni une Bartoli, ni un Florez.

Bref, l’ensemble qui se déroule sur fond de portes battantes en enfilade, parallèlement au public, et qui permettent une évolution profilée de l’action, un peu à la façon des ombres chinoises, impose aux interprètes de se dépasser pour rester dans la dynamique du chef. Ils y arrivent le plus souvent, comme soudés par un esprit de joyeuse théâtralité. Cette fois, honneur aux messieurs, du presque touchant Almaviva de Riccardo Novaro, mi-altier, mi-ridicule, au truculent Figaro de Carlos Esquivel, à la voix aussi souple que bronzée. Le choc de ces deux personnages qui se haïssent, autant que l’affrontement de leurs voix, se révèle ici d’une grande intensité, plus peut-être encore que dans le tandem cousin de Don Giovanni-Leporello.

Les dames, elles, laissent plus de regrets : de la comtesse de Guylaine Girard, belle voix mature au vibrato très présent, qui lance son dernier grand air comme si elle chantait Wagner, alors qu’on en attend toute une palette douce amère, à la Suzanne de la baroqueuse Bénédicte Tauran, laquelle avec son abattage et sa voix fine, n’en reste qu’à un personnage de soubrette lutine, alors que ce profil féminin est si riche. Autour de ce quatuor se démènent de façon convaincante Emmanuele Giannino en Basilio, Sophie Pondjiclis en Marcellina, Alain Herriau en Antonio, la piquante Barberina de Violaine le Chenadec et surtout Marie Lenormand, aussi fraîche et encombrée d’elle-même que le veut le rôle de Cherubino. Reste que Mozart a glissé dans cette Folle journée des rêves de promenades dans un parc, sous une lune cruelle qui éclairerait ce nouveau Songe d’une nuit d’été, si ambigu. Et cela apparaît peu. Le public, lui, prend avec enthousiasme ce qui lui est donné, et c’est justice.

Notez enfin que, fin mars, ces Noces seront à l’affiche de l’Opéra royal de Versailles pour deux représentations.

Jacqueline Thuilleux

Mozart : Les Noces de Figaro - Opéra de Rouen, le 2 mars, puis les 4, 6, 8 et 10 mars 2010 / Infos. : http://www.operaderouen.fr

Puis à l’Opéra royal de Versailles, les 28 et 30 mars 2010 / Infos : www.chateauversaillesspectacles.fr.

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Photo : Jean Pouget
 

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