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Compte-rendu : Le Vaisseau fantôme à l’Opéra Bastille - Vaisseau perdu


Etrange comme une production peut s’avérer fragile. On croyait pourtant le spectacle épuré et tiré au cordeau de Willy Decker inébranlable, mais voila que cette reprise en demi-teinte vient semer le doute. Certes Decker n’est pas revenu s’occuper de remettre un de ses plus beaux enfants sur ses deux jambes, mais la réalisation attentive qu’en a effectuée Alejandro Stadler lui demeure fidèle, exacte jusque dans les moindres détails, au point que la scène où les marins rossent Erik dans leur beuverie en prend même plus de relief que dans notre souvenir.

D’où vient alors ce sentiment d’un hiatus permanent ? De la fosse. On ne comprend pas comment, après tant d’années passées à diriger presque exclusivement les opéras de Wagner Peter Schneider peut s’y montrer à ce point routinier. La tête dans la partition il s’occupe à peine de son orchestre – parfois splendide de sonorités, souvenir de l’enivrante Walküre de ce printemps - et ignore attaque et influx dramatique. S’il prend garde de ne pas couvrir les chanteurs il semble ne jamais voir ce qui se passe sur la scène. Littéralement, le spectacle lui échappe et du coup, celui-ci en pâtit, car chez Decker la musique est toujours la raison première de la mise en scène. Privée de ses mots sa grammaire tourne à vide, comme abandonnée.

La distribution posait moins de dilemmes. On ne croit pas se souvenir d’avoir jamais vu, hors José van Dam, un Hollandais convaincant. Un vague souvenir du jeune Simon Estes, plus par sa stature que par sa voix, voudrait apporter un bémol, mais en tous cas aucun qui puisse évoquer ceux si noirs et si maudits (et si humains pourtant) d’Hermann Uhde ou de Hans Hotter. Usé par ses somptueux Wotan, James Morris n’a plus que le secret de son chant pianissimo à offrir : comme il porte loin et précis ! Mais voila ce chant ne chante plus, incapable de ligne, brisé, fâché avec la plus élémentaire justesse. Et le mystère de ce destin maudit semble lui être au fond indifférent.

Une fois chauffé, le Daland de Matti Salminen est formidable de présence, d’accent, de justesse psychologique aussi. Il n’en fait jamais trop, sauve son personnage de la simple cupidité. Un Steuermann percutant, l’excellent Bernard Richter, une Mary finement jouée, sans rien de la matrone habituelle (Marie-Ange Todorovitch) laissent rayonner le couple des jeunes amants.

On aime la Senta échappée du Freischütz chantée par Adrianne Pieczonka : voix magnifiquement conduite, sensible aux mots, d’une belle lumière toute weberienne. Tout juste pourrait-on lui reprocher un timbre assez anonyme où le personnage ne se dessine pas assez. Le vrai maudit, celui que le tourment détruit, c’est Erik. Formidable Klaus Florian Vogt, d’un engagement, d’une fièvre qui en faisaient soudain le véritable héros du Vaisseau. De sa voix si singulière, il rappelle toute une théorie de grand ténors germanophones, de Karl Erb à Ernst Haeffliger en passant par Julius Patzak, qui dans leurs voix blanches et droites faisaient éclater les mots et allaient à l’aigu sans ciller. Des évangélistes, ce que Klaus Florian Vogt sera peut-être un jour… Pour lui, on doit voir cette reprise.

Jean-Charles Hoffelé

Richard Wagner : Le Vaisseau fantôme, Opéra Bastille, Paris, le 9 septembre, puis les 14, 21, 24, 27, 30 septembre et les 3, 6, et 9 octobre 2010

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