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Carlo Gesualdo (1560-1613) - 450e anniversaire pour le Prince de Venosa

En préambule, on notera que la naissance de Carlo Gesualdo oscille, selon les hypothèses, entre 1558 et 1561, la date la plus plausible restant 1560, voici donc 450 ans... Second fils de Don Fabrizio Gesualdo, fondateur à Naples d’une brillante Académie musicale, le compositeur avait pour oncle le cardinal Carlo Borromeo qui lui sera d’un grand secours dans ses problèmes conjugaux. Formé par Pomponio Nenna à l’académie paternelle, il y connut Torquato Tasso et mit en musique de nombreux textes du poète dans ses premiers recueils madrigalesques.

Musicien maudit

C’est en 1586 qu’il épousa sa belle cousine, Maria d’Avalos, dont c’était le troisième mariage. Emporté par son tempérament maniaco-dépressif, Gesualdo s’éloigna de sa femme qui reporta son affection sur le duc d’Andria. Surprise en flagrant délit d’adultère, Maria d’Avalos fut assassinée avec le duc en 1590 par des tueurs à la solde de Don Carlo, lequel fit également étouffer son jeune fils dont il mettait la légitimité en doute. Mais le providentiel cardinal Borromeo put éviter le scandale et la vendetta qui menaçait avec les familles des victimes et un second mariage fut négocié en 1593 avec Eleonora d’Este, cousine du duc Alphonse II de Ferrare, l’instigateur du célèbre Concert virtuose des Dames de Ferrare.

Bien évidemment, ce triple crime est à l’origine de la sombre légende du Don meurtrier, l’un des premiers musiciens maudits de l’histoire. En tout cas, poussé par la contrition, le prince de Venosa se tournera de plus en plus vers le sanctuaire, laissant des Sacrae Cantiones et un Livre de Répons pour l’Office des Ténèbres de la Semaine Sainte, prétexte à une impressionnante représentation funèbre de la Passion du Christ.

Un style immédiatement identifiable

Cela dit, c’est l’art du madrigaliste qui a fait le plus pour sa gloire. A Ferrare où il séjourna à l’occasion de son second mariage, il a été sensible aux recherches chromatiques de Luzzasco Luzzaschi qui lui dédia en 1594 son 4ème Livre de Madrigaux. Aussi bien, il semble que cette rencontre ait déclenché chez lui le réflexe éditorial, puisque quatre Livres de Madrigaux à 5 voix seront imprimés de 1594 à 1596, suivis d’un silence de quinze ans, avant la publication des 5ème et 6ème Livres, également à 5 voix, en 1611.

Dans cette œuvre, ainsi partagée en deux périodes nettement tranchées, Gesualdo développe un style et une sensibilité immédiatement identifiables dans le concert transalpin du temps. S’agissant moins d’une remise en question fondamentale de l’ordre musical que d’une démarche où la pression des événements extérieurs a sa part.

Surtout, il apparaît que l’on s’est sans doute mépris sur l’aspect « révolutionnaire » de sa production. Car ce que tant d’auditeurs d’aujourd’hui perçoivent comme une œuvre d’abord avant-gardiste, peut s’accommoder de visions moins radicales, quand on y regarde de plus près. Disons que Gesualdo, replacé dans son contexte historique, n’est pas en rupture avec celui-ci, mais impose plutôt l’image d’un polyphoniste attaché aux formes et à un style traditionnel : le contrepoint de la Renaissance. Les voix entretiennent entre elles des rapports consonants, soudain troublés par des dissonances et chromatismes qui ont certes valeur de révélateurs expressifs.

De plus, Don Carlo n’utilise jamais les techniques de la basse continue et du stile concertato, qui deviennent des armes essentielles de la rhétorique madrigalesque chez Monteverdi, à partir du 5ème Livre de 1605, étape décisive vers les audaces représentatives des 7ème et 8ème Livres du même. Pour autant, l’inventivité de l’écriture gesualdienne reste permanente, s’agissant d’une « micro-dramaturgie» travaillée par des harmonies téméraires, miroir d’angoisses existentielles liées à la névrose du compositeur.

L’étrangeté de Gesualdo

C’est dans les deux derniers Livres de 1611 que ces vertiges sont portés à leur paroxysme. Chaque madrigal exploite au maximum les rapports des mots et des notes, en jouant de l’agressivité acoustique comme arme rhétorique (les stravaganze apprises auprès de l’atelier chromatique ferrarais). Mais dans les limites, répétons-le, d’une vision des choses traditionnelle, Gesualdo, dans ce domaine, pensant toujours en polyphoniste, plus ou moins marqué, il est vrai, par un pressentiment « progressiste » venu de la déclamation monodique et du style récitatif.

Enfin, il faut dissiper un malentendu dont musicologues et interprètes sortent à peine et s’écarter, une fois pour toutes, du mythe du musicien meurtrier, en quête d’un impossible pardon. En d’autres termes, l’étrangeté de Gesualdo - avec cette impression d’un son comme venu d’ailleurs et d’un chant en état de veille - n’est pas que l’expression d’un ego tourmenté, mais aussi la conséquence d’une démarche qui le rend plus ou moins solidaire du clan maniériste des Ferrarais (Rore, De Wert, Luzaschi et quelques autres).

Du coup, l’« exception » gesualdienne se trouve quelque peu normalisée, loin de l’image irrationnelle du gourou ou du mage que certains s’obstinent à y voir. Mais sans dommage pour la fascination exercée par ces miniatures qui, tout ensemble affligées et incendiaires (Se la mia morte brami et Moro, lasso, al mio duolo, ces noirs joyaux du 6ème Livre), sont plus que jamais au cœur de l’actuel débat madrigalesque. Par la grâce d’une nouvelle génération d’interprètes (ex. : l’ensemble La Venexiana ) qui préfère au divan du psychanalyste la seule alchimie du concert et les bonnes questions du musicologue.

Roger Tellart

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Photo : DR
 

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