Journal

​Benjamin Beilman et Roderick Cox à l’Orchestre national Montpellier Occitanie – Intense dialogue – Compte-rendu

 

Depuis le début de la décennie, de solides liens se nouent entre l’Orchestre national de Montpellier et Roderick Cox (photo), ce dont on ne peut que se réjouir compte tenu des qualités musicales et du charisme du lauréat du Concours Solti 2018. Le chef était déjà présent à la rentrée 2021 à l’Opéra Berlioz pour un impertinent Rigoletto mis en scène par Marie-Eve Signeyrole ; on l’y retrouvera en mai prochain dans La Bohème. L’ouvrage de Verdi ne constituait d’ailleurs pas le premier contact du jeune maestro américain (né en 1988) avec la phalange languedocienne puisque durant la période du confinement, déjà, il avait enregistré sans public le Concerto pour violon de Jennifer Higdon (née en 1962) avec Benjamin Beilman à l’archet. Le concert du 8 décembre marquait donc à la fois la seconde exécution montpelliéraine et la création publique française de l’ouvrage.
 
Si le nom de Jennifer Higdon reste bien rare dans les programmes chez nous, il jouit d’une belle réputation de l’autre côté de l’Atlantique – la très populaire Blue cathedral pour orchestre (1999) a beaucoup fait en ce sens. Marquée par l’enseignement de George Crumb au Curtis Institute de Philadelphie, l’artiste a d’ailleurs par la suite retrouvé cet établissement pour y enseigner à son tour la composition, de 1994 à 2021.
 

© DR
 
Sous le signe du Curtis Institute
 
Le Curtis Institute of Music tient lieu de fil rouge de la première partie du programme. Samuel Barber y terminait ses études lorsqu’en 1931, à 21 ans, il s’inspira de la comédie de Sheridan pour écrire Overture to The School for Scandal op. 5. Choix original, cette pièce vivante et contrastée est menée par Roderick Cox avec autant de tonus rythmique que de sens de l’image – de la caricature faudrait-il dire, tant le jeune compositeur excelle à croquer avec les sons les personnages de la pièce. Savoureuse entrée en matière et ... excellente mise en jambes pour ce qui va suivre !
Revenons au Curtis Institute, où Hilary Hahn a suivi les cours de musique du XXe siècle de Jennifer Higdon : c’était « une étudiante exceptionnelle, se souvient cette dernière, qui dévorait les informations de la classe et était toujours prête à explorer de nouveaux langages et styles musicaux ». De cette rencontre et admiration devait naitre un peu plus tard le Concerto pour violon, écrit (en 2008) à l’intention d’une virtuose qui en assura la création le 6 février 2009 avec l’Orchestre d’Indianapolis – une composition qui valut à Higdon le Prix Pulitzer l’année suivante. 
 

Benjamin Beilman © DR

Un violoniste de tout premier ordre
 
De coupe traditionnelle en trois parties, le Concerto s’inscrit dans une esthétique très accessible et séduit continûment par la manière dont il « étire les limites de l’instrument »,pour reprendre les termes de J. Higdon, tout en installant une relation inventive avec l’orchestre. Redoutable techniquement, la partition n’est actuellement jouée que par deux violonistes au monde, Hilary Hahn, sa créatrice et dédicataire (1), et Benjamin Beilman (né en 1989), lui aussi passé par le Curtis Institute – décidement ... – avant de poursuivre son cursus en Europe, à la Kronberg Academy. La rareté de l’artiste en France (on ne l’y avait pas vu depuis un passage, en musique de chambre, l’été dernier au Festival de Prades, et rien de se présente dans les mois à venir hélas ...), ne peut qu’attrister les amateurs de grand violon. Car on tient là un interprète de tout premier ordre qui permet au public nombreux rassemblé au Corum de découvrir l’ouvrage dans les meilleures conditions.
 

© OONM
 
Liberté d’archet et élan vital
 
Soliste, chef et orchestre y ont déjà pris leurs marques il y deux ans et le résultat se traduit à présent de façon exemplaire. Au cœur de son sujet – comme son intonation, parfaite, sait toujours être « dans le mille » de la note – Beilman s’empare du premier mouvement de sa sonorité lumineuse (volet initial dont le titre, 1726, fait référence à l’adresse du Curtis Institute où Higdon rencontra Hahn pour la première fois). Un véritable paysage sonore s’offre à l’oreille gagnant peu a peu en intensité, avec en son milieu un passage apaisé et lyrique. Dans tous les cas, on est admiratif de la souplesse et de la liberté d’archet du soliste, comme de l’incroyable pureté de sa chanterelle ; il illumine la scintillante cadence avant de retrouver l’orchestre pour une conclusion aussi harmonieuse qu’onirique. Beilman peut il est vrai compter sur un Orchestre national de Montpellier, impeccablement préparé et impliqué, dont Roderick Cox raffine les timbres avec une science peu ordinaire. Celle-ci s'affirme tout autant dans le Chaconni médian, gorgé de lyrisme, que Beilman sert avec une poésie effusive et pudique. Fly Forward : ramassé, le finale mise ouvertement sur la virtuosité la plus débridée. Elle pourrait tourner en rond, en démonstration vaine, n’était l’intelligence d’un virtuose et d’un chef qui, dans une parfaite complicité, métamorphosent sa course effrénée en un pur – et irrésistible ! – élan vital.
 

© OONM
 
Un regard singulier
 
Intitulé « Entre deux mondes », le programme mène de l’Amérique de Barber et Higdon à la Russie de Tchaïkovsky avec sa 5Symphonie en mi mineur op. 64. Une partition rabâchée, certes, mais propre à mettre en valeur la singularité d’un chef. Et singularité il y a bien dans une conception qui fuit le clinquant et l’effet facile. Le premier mouvement ne se laisse pas complètement écraser par le fatum et traduit une lecture très fouillée. On l’a salué plus haut, l’art de la couleur de Roderick Cox (aidé par la qualité des divers pupitres de l’ONM) lui permet de toujours maintenir l’oreille en éveil. Sans un seul temps mort, l’Andante cantabile s'avère admirable de ce point de vue (bravo au cor solo de Sylvain Carboni, et à tout le pupitre !). Que d’originalité aussi dans la Valse, émouvante, semblable à une lointaine réminiscence embuée de larmes, avant un finale qui chemine, fatal, prenant et ambigu. De bout en bout, une grande soirée de musique. 
 
Alain Cochard
 

(1) Hilary Hahn a enregistré le Concerto de Jennifer Higdon pour DG (couplé avec le Concerto op. 35 de Tchaïkovsky) avec le Royal Liverpool Philharmonic Orchestra dirigé par Vasily Petrenko

Montpellier, Opéra Berlioz, 8 décembre 2023
 
 
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles