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​Beatrice di Tenda à l’Opéra Bastille – La séquestrée de Binasco – Compte-rendu

 
Difficile de ne pas être partagé à l’issue de cette Beatrice di Tenda très, trop attendue. Partagé entre la satisfaction de voir enfin ce titre injustement oublié à l’affiche de l’Opéra de Paris et l’étrange sensation laissée par la proposition scénique de Peter Sellars.
Conscient des faiblesses de l’avant-dernier ouvrage de Bellini, le célèbre trublion américain a cru bon d’appliquer à cet opéra délicat quelques-uns des principes éculés de la mise en scène contemporaine. Un château, celui de Binasco, transformé en prison, des caméras de surveillance, des soldats armés et un jardin labyrinthique tout de métal figé traduisent lourdement l’univers étouffant dans lequel l’odieux Filippo, dictateur et tyran domestique retient son épouse. Pour que ce « thriller psychologique » tienne la route, il aurait fallu que se jouent au plateau de tout autres enjeux que ce théâtre convenu qui égrène les clichés avec naïveté. C’est un peu comme si Sellars, l’auteur d’un Tristan et Isolde d’anthologie, n’avait pas suivi l’évolution de la scène lyrique de ces vingt dernières années et avait fait l’impasse sur les relectures autrement plus décapantes de la génération des Warlikowski, Tcherniakov, Serebrenikov, Lepage ou Trelinski.
 

© Franck Ferville - OnP

Lesté par cet affreux décor unique – qui pourrait servir à n’importe quel opéra – ces éclairages indignes et ces méchants costumes, cette poussive transposition, privée, on ne sait pourquoi d’images vidéo susceptibles d’animer l’ensemble, aurait eu besoin d’une direction artistique autrement plus affûtée pour maintenir l’attention. Et le spectacle dont la froideur et la rigidité souffrent d’une direction d’acteur réduite au minimum, aurait gagné en intérêt si la musique n’avait pas été à ce point contrainte ; or pour coller à l’esprit de cette « relecture » façon série américaine, le chef Mark Wigglesworth ralentit de manière intempestive le rythme général au détriment de la cohérence et de l’équilibre de la partition. Autre sujet d’étonnement, à une époque où l’on ne jure que par les versions intégrales, comment justifier en 2024 l’abandon de la plupart des reprises « da capo » et pire encore la suppression d’un air complet, comme celui d’Agnese au 1er acte « Ah non pensar che pieno sia » ?
Mark Wigglesworth assume le tout sans complexe, respectueux heureusement de la cantilène bellinienne et des voix de chaque protagoniste qu’il soutient de toutes ses forces, comme il se plaît à mettre en valeur la beauté des masses chorales préparées avec rigueur par la talentueuse Ching-Lien Wu.
 

© Franck Ferville - OnP 

Tout en sadisme rentré, Quinn Kelsey  campe avec une égale qualité de timbre et d’expression un noir Filippo, quand Pene Pati colosse aux pieds d’argile tire les larmes en Orombello, roulé en boule et supplicié. Le personnage secondaire et ici sacrifié d’Agnese, résiste à la voix raide de Theresa Kronthaler, celui encore plus anecdotique d’Anichino revenant à Amitai Pati qui a tout juste le temps de faire valoir son agréable instrument.

Dans un rôle qui ne lui est pas naturel et dont la tessiture virtuose et escarpée échappe en partie à sa vocalità première, Tamara Wilson ajoute malgré tout un nouveau trophée à son palmarès avec cette Beatrice bellinienne qui succède à sa Norma. La cantatrice se plie avec courage, mais sans aucun suraigu et de timides variations, à l’écriture de l’héroïne accusée comme tant d’autres, à tort, d’adultère et décapitée, mais sauvée par sa bonté d’âme, sans pour autant restituer avec l’exactitude attendue dans ce répertoire, ni le feu d’artifice vocal des grandes titulaires du passé de Sutherland, à Anderson et Devia, ou de sa consœur Jessica Pratt assez phénoménale à Naples en septembre dernier.
Prochain rendez-vous avec cette œuvre enfin ressuscitée en mars, au Teatro Carlo Felice de Gênes (1), avec Angela Meade qui retrouvera ce personnage dans lequel elle avait fait sensation il y a plus de dix ans.
 
François Lesueur

 

 (1) https://operacarlofelicegenova.it/spettacolo/beatrice-di-tenda/ 
 
Bellini : Beatrice di Tenda - Paris Opéra Bastille, 9 février ; prochaines représentations les 13, 15, 18, 23, 28 février, 2 & 7 mars 2024 / www.operadeparis.com
 
Photo © Franck Ferville - OnP 

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