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​Barbe-Bleue d’Offenbach à l’Opéra de Lyon – Ariane, c’est Boulotte – Compte-rendu

Offenbach-Pelly-Lyon, c’est une vieille histoire d’amour. Tout a commencé en 1997, avec un très mémorable Orphée aux enfers dirigé par Marc Minkowski ; le tandem formé par le chef et le metteur en scène a ensuite migré vers Paris, mais Laurent Pelly est revenu dans la capitale des Gaules dès 2007 pour La Vie parisienne, repris quelques années après, tout comme Le Roi Carotte, ressuscité en 2015 fut repris quatre ans plus tard. C’est donc très logiquement que l’Opéra de Lyon repropose – non pas pour les fêtes, mais juste après – ce Barbe-Bleue dont la première avait eu lieu en juin 2019.
 

© Bertrand Stofleth
 
Une fois encore, on s’interroge sur les mystérieuses raisons qui n’ont pas permis à cet Offenbach-là d’entrer durablement au répertoire, au même titre que La Périchole ou La Grande-duchesse de Gerolstein. Créé en 1866, Barbe-Bleue est pourtant une œuvre d’avant 1870, et le livret de Meilhac et Halévy annonce déjà certains éléments qu’on retrouvera ailleurs, avec son impitoyable satire des courtisans et des monarques désireux de faire la guerre à leurs voisins. Faut-il attribuer le relatif oubli dont pâtit cet opéra-bouffe au personnage principal ? L’héroïne aux formes opulentes (« C’est un Rubens », chante celui qui veut faire d’elle sa sixième femme) et dont les appétits virent presque à la nymphomanie aurait-elle moins d’attraits pour les chanteuses ? Evidemment, incarner Hélène, la plus belle femme du monde, est plus flatteur que de devenir la robuste paysanne Boulotte, mais cette dernière est porteuse de valeurs féministes qui pourraient la rendre plus séduisante aujourd’hui : en effet, comme l’Ariane imaginée par Maeterlinck, elle incite les précédentes épouses – restées en vie, toujours comme chez Maeterlinck – à secouer le joug (l’emprise?) qui les retient enfermées dans le château.
 

© Bertrand Stofleth
 
Laurent Pelly, en tout cas, a su s’emparer de l’œuvre pour en révéler le meilleur, en appliquant sa méthode habituelle : réécriture des dialogues par Agathe Mélinand, actualisation qui n’empêche pas le comique, et mimiques rythmées du chœur qui alterne entre visage face à la salle et face aux protagonistes. L’opposition entre l’univers rural du premier acte et la cour du roi Bobêche est telle qu’il n’y a pas à forcer les effets, et Offenbach a introduit assez de ruptures de ton pour mettre le spectateur en joie (et comment résister à un gag musical comme la cantate « Hyménée », prodigieuse parodie de musique officielle avec son titre psalmodié quatre fois de suite sur les mêmes notes ?).
 

© Bertrand Stofleth

Dans la fosse, le Britannique survolté James Hendry dirige l’orchestre de l’Opéra de Lyon à toute allure, vélocité tout à fait réjouissante, qui oblige les chanteurs à des prouesses de diction. Les chœurs préparés par Benedict Kearns ont aussi leur part dans le succès de la représentation, acteurs parfaits dans les rôles que Laurent Pelly attribue à chacun des artistes ou presque (les cinq femmes précédentes de Barbe-Bleue sont issues des pupitres de sopranos et d’altos). Parmi les solistes,  on retrouve bon nombre de personnalités déjà présentes en 2019, à commencer par Héloïse Mas, qui s’est totalement approprié Boulotte et qui en traduit toute la drôlerie, avec une richesse du registre grave qu’Hortense Schneider lui aurait sans doute enviée. Jennifer Courcier est une Fleurette charmante, et l’on regrette que la partition ne lui accorde pas plus à chanter en solo. Thibault de Damas retrouve le comte Oscar, et Christophe Mortagne réitère son hilarante transformation du roi Bobêche en cousin de Louis de Funès.
 

James Hendry © Clive Barda
 
A leurs côtés, quatre nouveau-venus. Julie Pasturaud ne fait qu’une bouchée de la reine Clémentine (qui bénéficie d’un air, elle), et Jérémy Duffau est un élégant prince Saphir. Guillaume Andrieux s’empare à merveille de Popolani, et réussit la prouesse de chanter toute la représentation une épaule plus haute que l’autre, la production ayant décidé que l’alchimiste serait difforme. Enfin, succédant à Yann Beuron, Florian Laconi interprète le rôle-titre, et si l’oreille est comblée en entendant dans ce rôle un artiste familier des plus grands rôles du répertoire français et italien, l’esprit ne l’est pas moins tant le ténor se montre convaincant dans la bouffonnerie, ce qui n’étonnera pas ceux qui ont vu sa prestation dans « The Opera Locos »…

Laurent Bury
 

Jacques Offenbach : Barbe-Bleue -  Lyon, Opéra, 24 janvier : prochaines représentations les 26, 27, 29, 30 janvier, 1er & 4 février 2024 // www.opera-lyon.com/fr/programmation/saison-2023-2024/opera/barbe-bleue-1
 
Photo © Bertrand Stofleth

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