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Aïda selon Annabel Arden à l'Opéra de Montpellier – Terrestre Aïda – Compte-rendu

 
Rentrée en fanfare, mais sans kitsch, pour l’Aïda que propose l’Opéra de Montpellier. Pas de décor, sauf une table et quelques chaises ; serait-ce pour une mise en espace qu’est ouverte la large scène du Corum ? On se pose la question en arrivant. La fosse d’orchestre est close et les instrumentistes ont pris place sur scène. Le chœur, qui sonnera tout du long effacé car chantant trop en fond, est disposé à cour sur des praticables. Les chanteurs figurent déjà à l’avant-scène. Amneris et Radamès sont couchés ensemble. Les Éthiopiens attablés sont devenus des Syriens.
 

© Marc Ginot 

À jardin pend un écran de cinéma constitué de vieilles toiles. Les vidéos signées Joanna Parker montrent les ruines d’Alep vues par un drone. S’y superposent un visage et des membres couverts d’argile. L’ensemble provoque un prégnant malaise mémoriel. On songe aux victimes d’Hiroshima ou du napalm, parfois à une performance d’action paiting. L’usage du noir et blanc, avec des ralentis à la Bill Viola, ne va cesser de combiner ces strates d’images à d’autres, évoquant boue, sécheresse, décomposition, guerre et douleur, mais aussi la reconstruction.
 
Autant d’épreuves que traverseront Aïda, réfugiée faite esclave, et Radamès homme de guerre contre sa volonté. Dans le camp opposé il y a Amneris, le roi et Ramphis ; elle est en nuisette, eux en costumes de ville. Ils Ce sont les forces dictatoriales. Les quelques signes disséminés par la londonienne Annabel Arden actualisent avec force l’ouvrage créé pour l’inauguration du Canal de Suez en décembre 1871.
 
L’opéra, ici réduit à deux heures quarante-cinq au prix de coupes indolores, exclut toute image historicisante. Seuls les pupitres de trompettes, venus depuis l’orchestre se disposer au premier balcon, assurent la part spectaculaire. L’occasion d’apprécier la malléabilité de l’Orchestre national Montpellier Occitanie qui, ainsi disposé, nous fait redécouvrir une partition ultra parcourue.
 

© Marc Ginot

L’ouverture s’avère exemplaire de subtilité lumineuse. On y entendrait presque frémir les reflets du grand fleuve nourricier. Les scènes de temple se découvrent une suavité lunaire, sans pathos outrancier. La direction ciselée d'Ainars Rubikis épargne tout effet pompier. Directeur musical du Komische Oper de Berlin, l'artiste letton appartient à cette génération de chefs d’orchestre quarantenaires qui déglacent les titans du lyrique. En écoutant son Verdi, on a plus d’une fois songé au travail d’épure d’un Pietari Inkinen dans Wagner.
 
La production se recentre sur la douleur des amours contraints si affectionné par Verdi, que l’on songe au triangle Eboli-Carlos-Elisabeth dans Don Carlos. Pour mener une action si réduite à l’essentiel, Valérie Chevalier, affutée directrice de l’opéra occitan, a réuni un casting de chanteurs peu connus. Si la disposition scénique met leur instrument vocal à nu, elle révèle surtout au public la splendide difficulté du métier lyrique. Et chacun suscite enthousiasme et intérêt.
 

© Marc Ginot
 
L’Amonasro du Coréen Leon Kim, bien que baryton au timbre assez standard, donne une noblesse poignante à son « Dei Faraoni tu sei la schiava ». Ketevan Kemoklidze, déjà entendue dans le rôle au Teatro Real de Madrid, a pour elle un physique élégant que la souffrance va peu à peu démembrer. Son mezzo incandescent sied à la femme torturée d’humanité qu’est Amneris.
Le Radamès clair, assuré mais point trop claquant d’Amadi Lagha, qui déjà tétanisait le Corum en mai dernier dans la Tosca pasolinienne de Rafael R.Villalobos (1), rappelle les grands glorieux comme Carlo Bergonzi. L’Aïda de Sunyoung Seo, une prise de rôle pour la jeune Sud-coréenne, est la séduction même avec un timbre autant charnel que charnu, des couleurs sans acidité, un souffle ample et maîtrisé. Elle porte vers les sommets un plateau où l’on applaudit également le soprano lumineux de Cyrielle Ndjiki, la tristesse volontairement essoufflée de Jean-Vincent Blot et le Ramphis mordant de Jacques-Greg Belobo. Et puis, en dépit de sa courte intervention, on remarque à nouveau le ténor vaillant et intense de Yoann Le Lan. Dans Tosca il incarnait un Spoletta sadique. Devenu ici humble messager, on se dit qu’il pourrait bien vite incarner un brillant Radamès.

 
Vincent Borel

(1) www.concertclassic.com/article/tosca-selon-rafael-rvillalobos-lopera-de-montpellier-le-sexe-et-leffroi-compte-rendu
 
Verdi : Aïda – Montpellier, Opéra Berlioz, Le Corum vendredi 30 septembre ; prochaines représentations les 2 & 4 octobre 2022 // www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenements/aida/
 
Photo © Marc Ginot

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