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Tosca selon Rafael R.Villalobos à l’Opéra de Montpellier – Le sexe et l’effroi – Compte-rendu

 

Placée sous la double bénédiction de Pasolini et du Caravage, la Tosca que propose le jeune metteur en scène Rafael R. Villalobos est un double choc, visuel et poétique. La tournette voulue par Emanuele Sinesi donne d’abord à voir les statues de la place Saint-Pierre et les arches blanches de l’EUR et du Foro Italico. Le fascisme restera évoqué, sans être asséné. La palette de couleurs, restreinte, joue du noir, du blanc et du rouge avec, parfois, la fragile carnation de nus masculins.
 

© Marc Ginot
 
Ce sont à la fois les enfants de chœur et les objets sexuels de Scarpia. Porteurs de lys blanc, ils renvoient à la composante homosexuelle du fascisme, celle du Martyre de Saint-Sébastien de D’Annunzio, celle que Pasolini décortique dans Salò ou les 120 journées de Sodome. Villalobos, metteur en scène aux origines andalouses, scrute également l’érotisme mortifère du catholicisme, perçu comme l’un des véhicules de l’oppression sociale. Mais on ne saurait lui faire reproche d’une Tosca si radicale tant son propos, un moment craint comme calqué et obsessionnel, sait rester subtil et maîtrisé.
 
Cette production, venue de la Monnaie de Bruxelles, et invitée par la très experte Valérie Chevalier, mériterait même d’être intitulée Scarpia tant le tyranneau, à l’image de ces furoncles humains qui aujourd’hui pullulent, est ici mis au centre de l’action. Davantage de puissance de la part de Marco Caria aurait sans doute rendu encore plus intense cette figure fascisante qui provoque fascination et répulsion chez Mario, ici perçu comme le double littéral de Pasolini.
 

Marco Caria (Scarpia) & Ewa Wessin (Tosca) © Marc Ginot
 
Tosca continue d’y être le moteur des passions mâles, à la fois support des fantasmes du cinéaste qui ne cesse de la cadrer, et obsession démente d’un Scarpia sadomasochiste. Il crèvera de ses pulsions à la fin d’un deuxième acte dérangeant, sous l’emprise de nus à la Mapplethorpe et de gueules géantes de pit-bulls. La violence et le sadisme ritualisé hantent un spectacle qui donne aussi à voir l’assassinat de Pasolini sur la plage d’Ostie, référence cette fois au superbe film de David Grieco, l’Affaire Pasolini (2019).   
 

© Marc Ginot 
 
Si effroi et sexe ici se confondent, cette Tosca n’omet rien des scénographies classiques, les chandeliers, la table du festin ou les sbires sadiques. Ils sont en costumes sombres façon Dolce & Gabbana, tandis que les atours de la diva renvoient à Fendi et Ferragamo.  Autre vision choc, la scène du Te Deum où, sous les poussées puissantes du chœur (préparé par Noëlle Gény) distribué dans la salle à cour et à jardin, le fond de scène s’emplit d’une lumière aveuglante où vient s’inscrire une Tosca devenue papesse, revêtue d’une chasuble à imprimé tête de mort.  Toute la production jaillit ainsi de l’inconscient du poète auquel on sent Villalobos s’être intensément identifié.
 

 Ewa Wessin (Tosca) & Amadi Lagha (Cavaradossi) © Marc Ginot

En Cavaradossi, le timbre percutant d’Amadi Lagha tétanise la salle du Corum, livrant des puissants moments comme le « Vittoria !, Vittoria ! » de l’acte deux ou le duo des amants avant l’exécution finale. L’incendiaire Tosca d’Ewa Wessin offre un "Vissi d’arte" d’une tendresse soudain déchirante. Les seconds rôles sont tous excellents, avec en premier lieu le sacristain autoritaire de Matteo Loi et le sadique Spoletta de Yoann Le Lan. L’Orchestre national Montpellier Occitanie, emporté par Michael Schønwandt, entonne un Puccini sans pathétique outrancier. La partition, qui en déborde, n’a pas besoin qu’on le surligne. L’attention aux détails, le panache avec lequel chaque leitmotiv est ciselé impressionnent. Cette Tosca, qui ne laisse aucun espoir quant au destin des individus sous dictature, aura libéré la pleine puissance de nos émotions. Pour Puccini, c’est mission catharsis réussie.
 
Vincent Borel

 
Puccini : Tosca - Montpellier, Opéra Berlioz le Corum, 13 mai ;  dernière représentation le 15 mai 2022 // www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenement/tosca-0
 
Photo © Marc Ginot

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