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« 50/50 » par le Concert de l’Hostel Dieu au Festival d’Ambronay 2022 – Minimalulliste – Compte-rendu

 
 
Rapprocher la musique d’ancienne de la musique, telle est la mission que se fixe désormais le festival d’Ambronay. En ce deuxième week-end de sa 43édition, pas un concert qui n’atteigne cet objectif, soit par la présence aux côtés de Vivaldi ou Rameau d’une courte pièce commandée à un compositeur, soir en se consacrant exclusivement à une création contemporaine, comme dans le cas de La passione di Gesù, oratorio de Leonardo García Alarcón. (1)
 
© Bertand Pichène
 
Le Concert de l’Hostel Dieu, lui, remplit le contrat au-delà de toute espérance, puisque le programme qu’il présente juxtapose deux compositeurs d’aujourd’hui à trois compositeurs des XVIIet XVIIIsiècles. Et d’ailleurs, il ne s’agit pas d’une simple juxtaposition, loin de là. Après avoir conçu en 2021 le programme intitulé « French Connection », qui se penchait sur l’influence française sur la musique britannique, liée à l’exil des souverains britanniques à la cour de Louis XIV pendant la révolution de Cromwell, Franck-Emmanuel Comte (photo) a eu l’idée de poursuivre le dialogue trans-Manche, en se focalisant sur la personnalité de Lully et de Purcell, et en sollicitant deux artistes d’aujourd’hui pour qu’ils produisent des œuvres inspirées de leurs lointains prédécesseurs. Et pour corser encore un peu le jeu, il a demandé à un Britannique de s’intéresser à Lully, tandis qu’un Français travaillerait sur Purcell, sans s’interdire lui-même la pratique de l’arrangement à même de faciliter le passage d’un univers à l’autre.
 
+ Anaïs Bertrand
Franck-Emmanuel Comte et Anaïs Bertrand © Bertrand Pichène

Nos deux contemporains sont donc, d’une part Martyn Harry, professeur de composition à Oxford (né en 1964), de l’autre David Chalmin (né en 1980), dont on peut actuellement voir et entendre certaines créations dans le cadre de l’exposition Musicanimale à la Philharmonie de Paris.(1) S’ils ont été retenus pour l’opération, c’est parce qu’ils avaient déjà manifesté une appétence pour ce type d’exercice. En 2012, Martyn Harry avait écrit At His Majesty’s Pleasure, suite en vingt et un mouvements pour instruments anciens.
Quant à David Chalmin, il avait déjà composé en 2018 pour le claveciniste Justin Taylor et son ensemble Le Consort. A la demande de Franck-Emmanuel Comte, Marty Harry révise le Grand Siècle avec Courante and Sarabande, a écrit un nouvel air sur un extrait du livret d’Actéon de Charpentier, et sa pièce STAB fait un peu penser à la musique de Michael Nyman pour Meurtre dans un jardin anglais mâtinée de Stravinski. Quant à David Chalmin, il a, lui, utilisé le texte de l’air du Génie du Froid dans King Arthur, il a rêvé autour de Music for a While, et son Ground Z joue sans doute sur la notion de « ground » en musique ancienne et sur les souvenirs de « Ground Zero ». Ces différentes formes d’hybridation sont assez séduisantes et emportent l’adhésion, l’ensemble retrouvant sa sonorité habituelle pour interpréter avec vigueur deux gigues composées par Lully.
 

Enregistré à l’automne 2021 pour un disque sorti au début de ce mois de septembre 2022 (3), le programme « 50/50 » était proposé le 24 septembre dans le cadre du festival d’Ambronay, avec quelques légers changements, toutefois. Pour le disque, Franck-Emmanuel Comte assurait lui-même la partie de clavecin, mais pour le concert, il la confie à Gwenaël Dubois, tandis que l’altiste Aurélie Métivier, présente sur le disque, cède ici la place à André Costa. Au concert, le programme inclut une pièce supplémentaire.
 
Enfin, la mezzo-soprano appelée à interpréter « Crown the Altar », extrait de l’Ode for Queen Mary’s Birthday de 1693 et les autres interventions vocales n’était pas la même qu’au disque : c’est Axelle Werner que l’on entend dans la version enregistrée, mais à Ambronay, elle était remplacée par Anaïs Bertrand, Premier Prix au concours de Froville 2018, dont le timbre chaud et enveloppant (la voix est sonorisée comme tous les instruments) paraît beaucoup plus sensuel, délicieusement mutin dans son interprétation de « Sans frayeur dans ce bois », chaconne de Charpentier, la page ajoutée pour le concert, justement.

 
Laurent Bury

(1)        Lire notre CR : www.concertclassic.com/article/la-passione-di-gesu-de-leonardo-garcia-alarcon-en-creation-mondiale-au-festival-dambronay
 
(2)        Expo . "Musicanimale"  - Philharmonie de Paris, jusqu'au 23 janvier 2023 : bit.ly/3dRPwCJ
 
(3)        1 CD Aparté / AP 286
 
Ambronay, Salle Polyvalente, 24 septembre 2022 / 43e Festival d’Ambronay, jusqu’au 9 octobre 2022 // festival.ambronay.org/2022
 
Photo © Bertrand Pichène

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