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Une interview de Karol Beffa, compositeur et auteur de « Bernard Herrmann » (Actes Sud) – « Bernard Herrmann est au croisement des passions de tous les amateurs, tant de cinéma, que de musique »

 
Pour qui voulait connaître le compositeur Bernard Herrmann (1911-1975), n’existaient jusqu’à présent que des ouvrages en anglais. Karol Beffa (photo) comble une lacune en signant une concise et précieuse biographie chez Actes Sud, qui permet de suivre le parcours d’un créateur nourri dans ses jeunes années du Traité d’instrumentation d’Hector Berlioz et immense admirateur de la musique de Chales Ives. À peine prononcé le nom d’Herrmann est associé au cinéma, à de fructeuses collaboration avec Orson Welles, Joseph Mankiewicz ou Alfred Hichcock, entres autres, mais l’un des intérêts de l’ouvrage qui paraît est de ne pas oublier les partitions écrites pour le concert ou l’opéra, éclairées par les fines analyses d’un auteur qui est aussi compositeur.
 
 
Les grands compositeurs de musique de film sont nombreux, mais Bernard Herrmann occupe une place à part. Quelle en est selon vous la raison ?

Déjà parce que je ne connais personne qui ne le mette dans son Panthéon. Et puis il a écrit des thèmes que tout le monde connaît. Il avait des idées tout le temps. Son métier est impeccable. Il est cher à tous les cinéphiles. Et en même temps, il est cher aux mélomanes ; il est au croisement des passions de tous les amateurs, tant de cinéma, que de musique. Et on retrouve son influence chez maint compositeur de musique de film. Pensons au début des Dents de la mer. On retrouve la « patte » d’Herrmann dans la musique de John Williams. Du reste, quand Spielberg a rencontré Bernard Herrmann et lui a dit toute l’admiration qu’il éprouvait pour sa musique, celui-ci lui a demandé pourquoi, dans ces conditions, il n’avait pas fait appel à lui pour Les Dents de la mer … Il était connu pour son caractère de cochon !
 

Votre livre est passionnant, notamment parce qu’on en apprend beaucoup sur le Bernard Herrmann d’avant le cinéma ...

Herrmann suivait de près les courants de l’avant-garde américaine, qu’on connaît beaucoup trop peu en France. Il était un esprit très curieux, s’intéressait beaucoup aux évolutions musicales de son temps, se passionnait en particulier pour l’œuvre de Charles Ives, dont la musique était pourtant très différente de la sienne. L’estime qu’il avait pour Ives était réciproque.
Herrmann avait des origines russes – ses parents, juifs avaient fui les pogroms – mais fait partie d’une génération de musiciens nés aux Etats-Unis. C’était un compositeur new-yorkais, avant de devenir un musicien hollywoodien. Avant le cinéma, il a fait ses premières armes à la radio. Notamment avec Orson Welles. Deux artistes aux egos sur-dimensionnés, mais qui s’entendaient très bien. La radio fut une très bonne école pour Herrmann. Il y a appris à travailler dans l’urgence, et de manière très efficace. Et puis il y a eu le coup d’éclat de Citizen Kane, premier film ayant réuni les deux artistes …
 
Et qu’en est-il de l’activité de Bernard Herrmann en dehors du cinéma ?

Comme la plupart des compositeurs connus surtout pour leurs musiques de film, Herrmann était amer de ne pas être reconnu pour tout ce pan de sa création. On lui doit en particulier le quintette pour clarinette et cordes Souvenir du voyage, la cantate Moby Dick, l’opéra Les Hauts de Hurlevent (le compositeur était passionné par la culture anglaise) et de nombreuses pièces symphoniques. Et puis, bien que Bernard Herrmann se soit intéressé aux musiques de son temps, et ait procédaé à beaucoup d’expériences dans sa musique de film, il était mal considéré par ses contemporains.
Et il n’a eu qu’un oscar, pour le film Tous les biens de la terre » (1941) de William Dieterle, qu’on a un peu oublié. Mais rien pour ses huit films avec Hitchcock, huit chefs-d’œuvre (dont l’admirable Vertigo !), ni ses films avec Orson Welles ou avec Joseph Manckiewicz. Et n’oublions pas l’amertume de Bernard Herrmann, après qu’Hitchcock, sous l’influence des studios, a décidé de mettre fin à leur collaboration au moment du Rideau déchiré.
Heureusement, de jeunes réalisateurs comme François Truffaut, Brian de Palma ou Martin Scorcese, lui permirent, dans les années 60 et 70, de composer encore pour de grands films. Et s’il n’était pas mort prématurément à 64 ans, nul doute que bien d’autres réalisateurs du nouvel Hollywood, auraient encore fait appel à lui.
Mais en ce qui concerne le manque de considération pour les musiciens de film, même un compositeur comme John Williams y a été confronté. On ne le prend pas assez au sérieux pour ses partitions non écrites pour le cinéma. Et on pourrait citer, dans le même cas, Michel Legrand et bien d’autres ...

Propos recueillis par Frédéric Hutman le 16 janvier 2024

 

« Bernard Herrmann » par Karol Beffa – Actes Sud, 176 p., 20 €

Photo © Amélie Tcherniak

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