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Un Grand d’Espagne - Une interview de Luis Fernando Pérez


Après un récital très remarqué à Piano aux Jacobins en septembre dernier, Luis Fernando Pérez est de retour en France, à Paris cette fois. La capitale l’avait découvert il y a un an exactement dans le cadre de la Folle Nuit Mirare à Gaveau avec un concert en une partie, moment trop bref mais qui donnait déjà la mesure d’une exceptionnelle personnalité pianistique et musicale. Avec elle, la relève des Del Pueyo, Larrocha et autre Achucarro est assurée !

Double actualité en cette fin d’année pour l’interprète puisqu’il est l’invité du Louvre (le 30 novembre) pour un récital inscrit dans la série «Au fil de Liszt », tandis que vient d’arriver dans les bacs des disquaires une version majeure des Goyescas d’Enrique Granados, accompagnée de Valses poéticos d’une lumineuse poésie (1 CD Mirare). Après un enregistrement marquant d’Iberia, qui a fait connaître le pianiste en France, on attendait avec impatience qu’il aborde le chef-d’œuvre de Granados.

Les mélomanes français regardent parfois avec un brin de condescendance la musique espagnole, pourtant, souligne Luis Fernando Pérez, « les Goyescas dépassent le caractère espagnol pour constituer l’un des plus importantes œuvres de la littérature. Il n’existe pas beaucoup de grands cycles pour piano tels que les Vingt Regards de Messiaen, Iberia d’Albeniz ou les Goyescas. Il s’agit d’une œuvre d’une énorme difficulté pour l’exécutant. Elle a beaucoup été jouée par des pianistes espagnols, mais par d’autres aussi et s’impose comme une œuvre essentielle du répertoire ».

Quels sont les grands maîtres du passé qui vous ont marqué dans votre approche des Goyescas ?

L.F. Pérez : La plus importante a évidemment été Alicia de Larrocha. La première fois de ma vie où j’ai joué pour Alicia, alors que je devenais son élève, c’était avec La maja y el ruiseñor (n°4 des Goyescas, ndlr). J’ai par la suite travaillé l’ensemble des Goyescas avec elle. Alicia détenait, si l’on peut dire, les « secrets » de la musique de Granados car sa mère avait été élève du compositeur. Par ailleurs Alicia avait étudié auprès de Frank Marshall, l’élève le plus important de Granados. Elle connaissait bien des détails qui ne figuraient pas dans la partition éditée. Nous tous, étudiants d’Alicia de Larrocha, avons d’ailleurs il y a un certain nombre d’années déjà participé à l’élaboration d’un texte de référence des Goyescas publié dans la « Edicion Alicia de Larrocha » chez Boileau à Barcelone.

Il semble que vous ayez cherché à ouvrir une perspective nouvelle sur les Goyescas en plaçant les Valses poéticos au début de votre enregistrement et la transcription de l’Intermezzo de l’opéra Goyescas à la place du Pelele ?

L.F. P. : Les Goyescas sont une musique extrêmement dense et, plutôt que d’y entrer immédiatement, je pense qu’il est utile de commencer le disque avec quelque chose d’autre, d’un caractère plus léger : les Valses poéticos m’ont paru très adaptés. Quant à l’Intermezzo, les pianistes ne jouent pas souvent les Goyescas avec cette pièce qui a été pensée comme un entracte dans l’opéra créé à New York. Cet Intermezzo a été transcrit par le compositeur, qui le joua lorsqu’il fut reçu à la Maison Blanche. On peut dire que c’est la toute dernière œuvre réalisée par Granados avant sa fin tragique lors du retour en Europe.

Vous venez de réaliser les Goyescas dans des conditions d’enregistrement parfaites. Auriez-vous envie de remettre sur le métier Iberia qui remonte à 2006 ?

L.F. P. : Iberia est une œuvre que l’on enregistre plusieurs fois si on en a la possibilité. Cinq ans se sont écoulés depuis mon enregistrement et beaucoup de choses ont changé dans mon approche de l’ouvrage ; il faudrait que je le réenregistre. C’est l’un des projets que nous avons avec Mirare ; je ne peux pas vous en dire plus pour le moment.

N’avez-vous pas parfois un peu peur d’être réduit à un « spécialiste de la musique espagnole » par le public français, très porté sur l’ « étiquetage » ?

L.F. P. : Il n’y a pas que les Français qui aiment les étiquettes ! (rires) Je suis différent d’autres pianistes, c’est vrai, parce que pratique beaucoup la musique espagnole, que j’ai été élève d’Alicia, que je suis plus spécialisé que d’autres en ce domaine, mais je joue en fait tout le répertoire.

Avez-vous des œuvres, des programmes à venir prochainement, inattendus pour ceux qui vous associent d’abord à la musique espagnole ?

L.F. P. : Je fais toujours des programmes différents. Je vais jouer le 1er Concerto de Brahms à Varsovie bientôt, à Paris le 30 novembre je fais un programme avec des transcriptions de Liszt (Schubert et Wagner), la Rhapsodie espagnole et des extraits d’Iberia.

2012 sera une année très française avec le 150ème anniversaire de la naissance de Debussy : des projets en ce domaine ?

L.F. P. : Pour l’instant non. 2012 sera une année très russe pour moi : je vais beaucoup jouer le Rhapsodie sur un thème de Paganini, mais aussi des pages pour piano seul de Rachmaninov, de Scriabine, etc. Mais j’adore Debussy, Ravel et le jour viendra où je les enregistrerai.

Et la musique contemporaine ?

L.F. P. : J’en ai beaucoup fait à une époque ; j’ai étudié avec Pierre-Laurent Aimard à Cologne. J’aborde peu la musique contemporaine désormais, sauf si certains organisateurs me font une demande spécifique. Je crois que je peux bien la jouer, mais d’autres la font mieux que moi parce qu’ils l’ont toujours pratiquée.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 15 novembre 2011

Luis Fernando Pérez à l’Auditorium du Louvre

Œuvres de Schubert/Liszt, Wagner/Liszt, Liszt et Albéniz

30 novembre 2011 – 20h

Paris- Auditorium du Louvre

www.louvre.fr

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Photo : DR

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